CHAPITRE III. NOTIONS PRÉCISES SUR LE COURS DE LA NATURE.
Augustin. Tout ce que l'Ecriture sainte, l'autorité la plus haute, la plus certaine, la mieux établie sur les solides fondements de la foi, nous dit d'Enoch, d'Elie et de Moïse, nous le croyons, mais non point ce que Fauste nous soupçonne de croire. Or, les hommes qui se trompent comme vous, ne peuvent savoir ce qui est selon ou contre la nature. Nous ne contestons pas que, dans le langage humain, ce qui sort du cours ordinaire de la nature est dit contre nature. Tel est le sens de ces paroles de l'Apôtre: « Si tu as été coupé de l'olivier sauvage, ta tige naturelle, et enté contre nature sur l'olivier franc[^1]», où il appelle « contre nature » ce qui n'entre pas dans le cours de la nature, tel qu'il est connu des hommes, à savoir que l'olivier sauvage enté sur l'olivier franc, ne donne point de fruits sauvages, mais produise de grasses olives. Mais Dieu, créateur et auteur de toutes les natures, ne fait rien contre nature : car tout ce qu'il fait entre dans la nature de chaque chose, lui de qui vient toute mesure, tout nombre, tout ordre dans la nature. Ni l'homme non plus ne fait rien contre nature, sinon quand il pèche; et encore la punition le ramène-t-elle à la nature. Car l'ordre naturel de la justice exige ou que le péché ne se commette pas, ou qu'il ne reste pas impuni. Mais, dans les deux hypothèses, l'ordre naturel est sauf, sinon de la part de l'homme, au moins de la part de Dieu. En effet, le péché nuit à la conscience, et nuit à l'âme elle-même, en la privant de la lumière de justice, bien qu'il ne soit pas immédiatement suivi de douleurs, réservées comme remède à ceux qui doivent se corriger, ou comme dernier supplice à ceux qui seront restés incorrigibles. Mais il n'y a rien de messéant à dire que Dieu fait contre nature ce qu'il fait contre ce que nous savons de la nature. Car nous donnons aussi le nom de nature au cours connu et ordinaire de la nature; et quand Dieu agit contre ce cours, nous appelons ses actions merveilles ou prodiges. Mais la loi souveraine de la nature, si élevée au-dessus de l'intelligence des impies ou des faibles, Dieu ne peut pas plus agir contre elle que contre lui-même. Plus une créature spirituelle et raisonnable, comme l'âme humaine, par exemple, participe à cette loi immuable et à cette lumière, mieux elle connaît ce qui est possible et ce qui ne l'est pas; plus elle en est éloignée, plus elle s'étonne de ce qui sort du cours ordinaire des choses, parce qu'elle prévoit moins l'avenir.
- Rom. XI, 24.