CHAPITRE VI. ANIMAUX PURS ET ANIMAUX IMPURS.
Si vous ne voulez pas vous nourrir de chair, pourquoi n'immolez-vous pas les animaux offerts à votre Dieu, afin que ces âmes, que vous regardez non-seulement comme des âmes humaines, mais des âmes divines, véritables membres de la Divinité, sortent de la prison de la chair, et obtiennent, par vos prières, de n'y plus rentrer ?
Pour elles, vos voeux sont-ils moins efficaces que votre ventre, et la délivrance est-elle plutôt- le partage de cette portion de la nature divine qui a mérité de passer par vos entrailles, que de celle qui avait le suffrage de vos prières? Vous n'immolez donc pas les animaux à votre ventre, parce que vous ne pouvez les absorber tout vivants, et délivrer ainsi leurs âmes par le pieux office de votre estomac. O bienheureux légumes, à qui après avoir été arrachés par la main, coupés par le fer, rôtis par le feu, broyés par les dents, il est donné cependant d'arriver tout vivants jusqu'à l'autel de vos entrailles ! Et combien sont à plaindre les animaux qui, sortant plus tôt de leurs corps, ne peuvent entrer dans les vôtres! Livrés à de pareilles extravagances, vous pensez encore que nous sommes les ennemis de l'Ancien Testament, parce que nous ne regardons aucune chair comme impure, selon cet oracle de l'Apôtre : « Tout est pur pour ceux qui sont purs[^1] », et cette parole du Seigneur : « Ce n'est pas ce qui entre dans votre bouche qui vous souille, mais ce qui en sort[^2]». Le Seigneur ne s'adressait pas ici seulement au simple peuple, commua prétendu l'expliquer, dans ses attaques contre l'Ancien Testament, votre célèbre Adimantus, que Fauste place au premier rang après Manès; loin de la foule il exprimait la même pensée à ses disciples, d'une manière encore plus claire et plus expressive. Adimantus ayant opposé cette sentence du Seigneur à l'autorité de l'Ancien Testament, qui désigne comme impure la chair de certains animaux, dont l'usage était interdit au peuple, il craignit cette objection Pourquoi donc regardez-vous comme impure toute chair, et non pas celle de quelques animaux? pourquoi vous en abstenir absolument, puisque vous apportez vous-même le témoignage de l'Evangile, que l'homme n'est pas souillé par ce qui entre dans la bouche, descend dans les intestins et est jeté au lieu secret?
Pour se tirer d'une position où sa mauvaise foi, vivement pressée, ne pouvait tenir contre l'évidence de la vérité, il prétend que le Seigneur n'a tenu ce langage qu'à la foule, comme s'il ne confiait la vérité qu'à un petit nombre et en secret, tandis qu'il abusait le peuple par des mensonges. Une telle imputation n'est-elle pas un sacrilège, et ne suffit-il pas de lire l'Evangile, pour se convaincre que le Seigneur, loin de la foule, a inculqué de la manière la plus explicite la même doctrine à ses disciples? Puisque Fauste, dès le début de son livre, témoigne de son admiration pour Adimantus, au point de ne le croire inférieur qu'à Manès seul, qu'il me suffise de demander si cet oracle par lequel le Seigneur enseigne que l'homme n'est pas souillé par ce qui entre dans la bouche, est vrai ou faux. Si les Manichéens disent qu'il est faux, pourquoi leur célèbre docteur Adimantus, le regardant comme émané de la bouche du Christ, s'en sert-il pour attaquer l'Ancien Testament ? Si, au contraire, il est vrai, pourquoi le contredire et se croire souillé en mangeant d'une chair quelconque ? A moins que rendant hommage à la vérité, ils reconnaissent que l'Apôtre n'a pas dit : Tout est pur pour les hérétiques; mais : « Tout est pur pour ceux qui sont purs ». L'Apôtre, en effet, montre immédiatement après, comment rien n'est pur pour les hérétiques : « Rien n'est pur, dit-il, pour les impurs et les infidèles; ils ont la raison et la conscience souillées[^3]». Il faut conclure de là, que véritablement rien n'est pur pour les Manichéens, eux qui enseignent que la substance ou la nature même de Dieu, non-seulement a pu être souillée, mais l'a été en partie, et non-seulement souillée, mais incapable d'être entièrement délivrée et purifiée. Il est étrange de les entendre réputer toute chair impure, et dire qu'ils s'en abstiennent pour cette raison, comme si pour eux il y avait quelque chose de pur, et dans les aliments, et dans toutes les créatures. Car ils nous représentent également les légumes, les fruits et toutes les productions de la terre, la terre entière et le ciel comme souillés par le mélange de la race des ténèbres. Que ne suivent-ils donc leurs principes erronés relativement aux aliments dont ils usent ! et que, s'abstenant de tout ce qui est impur à leurs yeux, ne meurent-ils pas de faim, plutôt que de s'obstiner à proférer de pareils blasphèmes ! Evidemment, un tel sort serait préférable pour des esprits qui repoussent toute réforme et tout amendement.
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Tit. I, 15.
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Matt. XV, 11.
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Tit. I, 15.