CHAPITRE II. DÉSACCORD ENTRE SAINT MATTHIEU ET SAINT LUC, D'APRÈS FAUSTE.
Cependant, nous doutons que le Christ ait dit cela, à cause de la différence du texte des Evangélistes. Il y en a deux, Matthieu et Luc, qui racontent le fait du centurion dont le serviteur était alors malade, et à l'occasion duquel Jésus paraît avoir prononcé ces paroles, à savoir : qu'il n'avait point trouvé en Israël une aussi grande foi que dans cet homme, qui était cependant gentil et païen ; et cela parce qu'il avait dit qu'il n'était pas digne que Jésus entrât sous son toit, mais qu'il le priait seulement de prononcer une parole et que son serviteur serait guéri. Matthieu seul rapporte que Jésus aurait ajouté : « En vérité, je vous dis que beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et auront place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures ». Par ce grand nombre qui doit venir, Jésus entend les païens; et il dit cela à cause du centurion, qui était lui-même païen et en qui il avait trouvé une grande foi ; et par les enfants du royaume, il désigne les Juifs, en qui il n'avait pas trouvé de foi. Mais Luc, bien qu'il ait cru nécessaire d'insérer dans son Evangile ce trait, mémorable entre tant d'autres, de la vie du Christ, n'y fait cependant aucune mention d'Abraham, ni d'Isaac ni de Jacob. Et si on dit que c'est parce que Matthieu en avait suffisamment parlé, pourquoi donc a-t-il raconté la conversation avec le centurion, et la guérison du serviteur, puisque l'habile Matthieu en avait aussi dit assez long ? Mais cela est faux. En effet Matthieu, à propos de l'invitation faite à Jésus de venir, dit que le centurion vint lui-même demander la guérison; et Luc, de son côté, ne dit point cela, mais que le centurion envoya des anciens d'entre les Juifs, parce qu'il craignait d'être repoussé en qualité de gentil (on veut que Jésus soit complètement Juif), et que ceux-ci essayèrent de persuader le Sauveur en lui disant que cet homme méritait qu'il fît cela pour lui, parce qu'il aimait leur nation et qu'il leur avait même bâti une synagogue[^3] : comme si le Fils de Dieu avait quelque intérêt à ce que les Juifs eussent mérité qu'un centurion leur bâtit une synagogue ! Toutefois Luc ne passe pas absolument cette parole sous silence, dans la crainte, je pense, qu'elle ne se trouve vraie ; mais il la déplace et l'applique à un sujet fort différent, à celui que Jésus traitait quand il dit : « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite; car beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas. Lorsque le Père de famille », ajoute-t-il, « sera entré et aura fermé la porte, vous commencerez par vous tenir dehors et par frapper à la porte, en disant: Seigneur, ouvrez-nous. Et, vous répondant, il vous dira : Je ne vous connais pas. Alors vous commencerez à lui dire : Nous avons mangé et bu devant vous, et vous avez enseigné sur nos places publiques et dans nos synagogues. Et il vous dira : Je ne sais d'où vous êtes; retirez-vous de moi, vous tous, ouvriers d'iniquité. Là sera le pleur et le grincement de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les Prophètes entrer dans le royaume de Dieu, et vous chassés dehors ; et il en viendra de l'Orient et de l'Occident, et du Midi et de l'Aquilon, et ils auront place au festin dans le royaume de Dieu[^1] ». Que beaucoup seront exclus du royaume de Dieu, pour avoir seulement porté son nom sans faire ses oeuvres, c'est ce que Matthieu n'a pas manqué de dire non plus[^2]; mais, là, il ne fait aucune mention d'Abraham, d'Isaac ni de Jacob. Luc, à son tour, parle bien du centurion et de son serviteur; mais en cette circonstance il ne dit pas un mot d'Abraham, d'Isaac ni de Jacob; en sorte que, comme il n'est pas possible de constater quand cette parole a été prononcée, rien n'empêche de croire qu'elle ne l'a pas été.
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Matt. VIII, 5-13; Luc, VII, 2-10.
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Luc, XIII, 24-29.
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Matt. VII, 21.