II.
Félix. Manès affirme l'existence de deux natures, l'une bonne et l'autre mauvaise; et c'est cette dualité que vous lui reprochez. Dans l'Évangile Jésus-Christ parle de deux arbres: « L'arbre bon ne porte pas de mauvais fruits, et l'arbre mauvais n'en porte pas de bons[^5] ». Voilà bien deux natures. Nous lisons également dans l'Évangile : « N'avez-vous pas semé une bonne semence dans votre champ? pourquoi donc y voit-on de la zizanie ? C'est là l'oeuvre de l'ennemi[^6] ». Qu'on me prouve que cet ennemi n'est pas étranger à Dieu : s'il lui appartient, quelle semence a-t-il semée? De même il est écrit dans l'Évangile, qu'à la fin des temps, Jésus-Christ établira son trône au milieu du siècle, enverra ses anges à l'Orient et à l'Occident, au Septentrion et au Midi, qu'il rassemblera toutes les nations en sa présence, et les séparera comme le berger sépare les agneaux du milieu des boucs. Je ne fais qu'analyser; il dira donc aux agneaux : « Entrez dans le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ». Il dira aux boucs placés à sa gauche : « Retirez-vous de moi, vous qui avez commis l'iniquité »; vous portiez mon nom, mais vous n'avez pas accompli mes oeuvres : « Allez au feu éternel qui a été préparé au démon et à ses anges[^1] ». Quels sont ceux qui portent le nom de Jésus-Christ et sont jetés au feu éternel avec le démon et ses anges ? à quel parti appartiennent ceux en qui Jésus-Christ n'est pas mêlé et qui portent son nom ? Manès répond que ceux que Jésus-Christ condamne ne sont pas de lui. Paul dit également : « La prudence de la chair est l'ennemie de Dieu; car elle n'est pas soumise à la loi de Dieu, et elle ne peut l'être[^2] ». Manès dit de même que ce qui est ennemi de Dieu n'appartient pas à Dieu; pour lui appartenir, il faudrait que Dieu se fût fait à soi-même son ennemi; c'est ce que Manès ne dit pas. Paul dit encore : « Le Dieu de ce siècle a aveuglé l'esprit des infidèles afin qu'il ne leur fût pas donné de contempler la clarté de l'Évangile de Jésus-Christ qui est l'image de Dieu[^3] ». Et ailleurs : « Il me fut donné l'aiguillon de la chair, l'ange de Satan, pour me frapper le jour et la nuit : voilà pourquoi j'ai demandé trois fois au Seigneur de m'en délivrer; et il m'a dit : Ma grâce te suffit; car la vertu s'éprouve dans la faiblesse et l'adversité[^4]». Ce que l'Apôtre avance, ce que l'évangéliste affirme, c'est ce que Manès ne fait que répéter quand il déclare que celui qui combat contre Dieu, est étranger à Dieu. De même que Jésus-Christ, tous les Apôtres ont payé de leur sang leur fidélité aux ordres de Dieu; eh bien ! que votre sainteté me dise sans détour si celui qui les a crucifiés en haine de la loi de Dieu, appartient à Dieu.
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Matt. VII, 17.
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Id. XIII, 27, 28.
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Matt. XXV, 31-41.
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Rom. VIII, 7.
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II Cor. IV, 4.
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Id. XII, 7.9.