IX.
Félix. Si rien ne pouvait nuire à Dieu, pourquoi a-t-il envoyé son Fils sur la terre?
Augustin. Pourquoi donc interroger sans cesse, et ne jamais répondre aux questions qui vous sont faites? J'ai parfaitement compris votre demande, mais n'oubliez pas que vous ne me répondez jamais, tandis que je vous réponds toujours. Non, rien ne peut nuire à Dieu, et cependant, il a envoyé son Fils avec mission de revêtir notre humanité, de se montrer aux hommes, de guérir les pécheurs, et de souffrir pour nous dans la chair qu'il nous a empruntée. En effet, comme Dieu, il ne pouvait souffrir, car « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». En sa qualité de Dieu et de Verbe éternel, il n'était pas soumis à l'aiguillon de la souffrance. Afin donc de pouvoir souffrir pour nous, « le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous[^3] ». « Le Verbe s'est fait chair », en prenant un corps, et non pas en se changeant en un corps; il a revêtu notre humanité sans perdre sa divinité. Il est donc tout à la fois Dieu et homme; comme Dieu, il est parfaitement égal à son Père ; comme homme, il est mortel, parmi nous, pour nous, notre frère, restant ce qu'il était, devenant ce qu'il n'était pas, afin de sauver ce qu'il avait créé et non ce qu'il était. La passion du Sauveur n'est donc pas de sa part une oeuvre de nécessité, mais une oeuvre de miséricorde. Pour nous donner l'exemple de la patience à souffrir, il s'est fait l'un de nous, homme sorti de l'homme, chair formée de la chair. Toutefois, en se faisant chair, il n'a rien perdu de sa grandeur naturelle ; c'est la chair qui en lui a revêtu une nouvelle dignité. Examinons au contraire cette partie de votre dieu; elle n'a revêtu aucune chair, car elle n'était pas dans la nation des ténèbres, pour laquelle elle devait souffrir; elle est donc descendue pour être enchaînée, liée, polluée, et pour subir une purification plus honteuse même que ne l'était son esclavage. J'ai parlé de cette purification. Plus ces assertions inspirent d'horreur, plus il est facile de comprendre qu'elles ne peuvent s'appliquer à la nature de Dieu. Une intelligence pieuse et fidèle rougira toujours de croire d'un Dieu bon et véritable ce que vous croyez du vôtre, non pas tel que vous l'avez trouvé, mais tel que vous l'avez inventé. Répondez donc : si rien ne pouvait nuire à Dieu, dites-nous pour quelle raison et dans quel but fut envoyée sur la terre cette partie de la substance divine, qui ne devait revêtir aucune chair et ne devait rien souffrir ; ou du moins, si elle devait souffrir, ce ne pouvait être dans la chair?
- Jean, I, 1-14.