XI.
Augustin. Ceux que Jésus-Christ a rachetés de l'esclavage du démon, n'étaient tombés dans cet esclavage que par l'effet de leur volonté propre; en consentant librement aux séductions du démon, ils avaient attiré sur eux la rigueur du juste jugement de Dieu. De même donc que l'homme fut parfaitement libre d'écouter le démon et de se soumettre à sa tyrannie; de même le démon, en sa qualité d'ange, eut le pouvoir de pécher et de déchoir de son état de grandeur. Pécheur par son libre arbitre, l'ange déchu inspira le péché à l'homme qui jouissait également de la liberté; l'ange n'eût pas péché s'il l'avait voulu; s'il l'avait voulu aussi, l'homme n'aurait pas consenti. Mais en péchant, l'homme devint l'esclave de celui à qui il avait sacrifié sa volonté, non pas sans doute que le démon eût par lui-même aucun empire, mais Dieu en décida ainsi pour punir celui qui s'était révolté contre ses ordres. Quand donc Jésus-Christ vint au secours des pécheurs, il les trouva soumis à l'empire du péché, et pour être rachetés, il leur suffit de renoncer à l'orgueilleux tyran qui les opprimait. Vous avez cité cette parole : « Maudit a soit celui qui est suspendu au bois », ce qui a fait dire à l'Apôtre : « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi en se faisant maudit pour nous, car il est écrit : « Maudit soit celui qui est suspendu au bois» ; remarquez donc qu'il n'y a là aucun reproche adressé à la loi, mais une glorification de la miséricorde. En péchant, Adam avait attiré la malédiction sur lui et sur toute sa postérité ; or, le Sauveur a voulu prendre chair dans cette postérité, afin qu'en revêtant notre mortalité, qui était pour nous un châtiment, il détruisît la mort et rétablît le règne de la grâce; de là cette parole de la loi : « Maudit soit celui qui est suspendu au bois ». C'est la mort elle-même qui était suspendue au bois, et la mort était l'oeuvre de la malédiction. De même donc qu'en consentant à mourir, Jésus-Christ a détruit la mort; de même, en assumant sur lui la malédiction, il a détruit la malédiction. De là ce mot de l'Apôtre : « Nous savons que notre vieil homme a été attaché à la croix avec Jésus-Christ[^1] ». En effet, c'est du vieil homme condamné à la mort, en punition de son péché, que Jésus-Christ a daigné prendre une chair mortelle dans le sein de la Vierge Marie, afin de nous donner l'exemple de la passion et de la résurrection. De la passion, afin d'affermir la pénitence; de la résurrection, afin d'enflammer l'espérance. De cette manière, nous trouvons deux vies dans la chair qu'il a empruntée à notre mortalité :l'une laborieuse et l'autre heureuse; une vie laborieuse que nous devons tolérer, et une vie heureuse que nous devons espérer. En supportant la vie laborieuse, nous ne faisons qu'accepter le châtiment dû à nos péchés; pour Jésus-Christ, au contraire, cette vie laborieuse, loin d'être en lui le châtiment d'un péché personnel, n'a été qu'une inspiration sublime de son infinie miséricorde. La promulgation de la loi, dit saint Paul, a été pour le péché une occasion de se multiplier. Il y a là un reproche inhérent à toute loi; mais au lieu de la blâmer, si vous voulez connaître ses avantages, écoutez ce qui suit : « Mais là où le péché a abondé, la grâce a surabondé[^2] ». En effet, si la loi a été imposée aux hommes orgueilleux, qui espèrent tout de leurs propres forces, c'est afin que, ne pouvant accomplir la loi et bien convaincus de leurs prévarications, ils courussent implorer la miséricorde du Législateur lui-même. Voilà pourquoi l'Apôtre ajoute presque aussitôt : « La loi est sainte, le commandement est saint, juste et bon ». Et gardez-vous de croire qu'il s'agisse d'un autre précepte que de celui dont il a dit : « La loi est entrée afin que le péché abondât » ; ne l'entendons-nous pas formuler aussitôt cette question : « Ce qui est bon est-il devenu pour moi la mort? Non; mais c'est le péché qui, m'ayant donné la mort par une chose qui était bonne, a fait paraître ce qu'il était[^3] ». Le péché existait, mais il ne paraissait pas péché; la loi a été imposée à l'orgueilleux ; alors il s'est révolté contre la loi, et le péché, qui existait déjà, mais qui ne paraissait pas, s'est dévoilé dans toute sa laideur. Or, en apparaissant dans toute sa réalité, le péché a humilié l'orgueilleux; l'orgueilleux, en s'humiliant, a fait pénitence, et sa pénitence lui a obtenu miséricorde. Voilà ma réponse; donnez-moi la vôtre : La nation des ténèbres ne pouvait nuire à Dieu en quoi que ce fût; pourquoi donc Dieu a-t-il envoyé sa substance pour la mêler aux démons, et, par eux, la voir se couvrir de souillures?
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Rom. VI, 6.
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Id. V, 20.
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Id. VII, 12, 13.