XXII.
Cette discussion fut suivie d'un long échange de paroles, après quoi
Félix. Dites-moi, que voulez-vous que je fasse ?
Augustin. Jetez l'anathème à Manès et à tous ses blasphèmes. Pourtant un tel acte doit être sérieux de votre part, car personne ne prétend vous y forcer.
Félix. Dieu sait si j'agis dans toute la sincérité de mon âme; l'homme ne peut voir le fond du coeur; mais je vous demande de venir à mon aide.
Augustin. Quel secours me demandez-vous?
Félix. Formulez d'abord l'anathème; je vous imiterai.
Augustin. Voici que je l'écris de ma propre main, car je veux que vous l'écriviez aussi. Félix. Faites en sorte que l'anathème frappe en même temps l'esprit qui s'était emparé de Manès et qui parla par sa bouche.
Augustin prit le parchemin et traça ces paroles :
Augustin, évêque de l'église catholique, j'ai anathématisé Manès, sa doctrine et l'esprit qui par son organe a prononcé ces exécrables blasphèmes, car c'était là un esprit séducteur, le père du mensonge et non de la vérité; de nouveau j'anathématise ce même Manès et l'esprit de son erreur.
Ensuite il présenta le parchemin à Félix qui écrivit de sa propre main: Moi Félix, qui avais d'abord cru à Manès, j'anathématise aujourd'hui ce même Manès, sa doctrine et l'esprit séducteur qui fut en lui ; je lui jette l'anathème pour avoir dit que Dieu a mêlé une partie de lui-même à la nation des ténèbres, et que pour la délivrer de ce honteux état, il use de moyens plus honteux encore, le soulèvement de toutes les plus sales passions de la volupté, sauf à enchaîner éternellement dans le globe des ténèbres ce qui n'aura pas été évacué par ces voies criminelles. J'anathématise ces blasphèmes et tous les autres sortis des lèvres de Manès.
Augustin, évêque, déclare que tout ceci s'est passé dans l'église en présence du peuple, en foi de quoi j'ai signé.
Moi, Félix, j'ai souscrit à ces actes.
Traduction de M. l'abbé BURLERAUX