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De la nature du bien
CHAPITRE XLII. BLASPHÈMES MANICHÉENS CONTRE LA NATURE DE DIEU.
A quoi pourrait-on comparer ces blasphèmes? Les autres sectes les plus perverses n'ont rien imaginé de semblable. Et cependant si nous envisageons le manichéisme à un autre point de vue dont nous n'avons pas encore parlé, nous trouvons que ces blasphèmes contre la nature de Dieu révèlent un caractère plus grand encore de perversité et d'horreur. En effet, ils ne craignent pas de soutenir qu'un certain nombre d'âmes, formées de la substance et de la nature même de Dieu, sont enchaînées pour l'éternité dans le gouffre horrible des ténèbres, non pas pour s'être abandonnées volontairement au péché, mais parce qu'elles ont été vaincues et opprimées par la nation des ténèbres, nature essentiellement mauvaise qu'elles étaient venues combattre, non pas volontairement, mais pour obéir aux ordres de leur père. Quel crime ! quelle audace incroyable ! se peut-il que Dieu soit l'objet d'une telle croyance, d'un tel langage, d'une semblable doctrine? Les pressez-vous de se justifier, ils se précipitent en aveugles sur des affirmations plus criminelles encore, ils soutiennent que si la nature de Dieu, bonne par elle-même, devient victime de si grands maux, c'est par suite de son mélange avec la nature mauvaise. Abandonnée à elle-même elle ne serait jamais devenue la victime de toutes ces infortunes. A ce prix une nature incorruptible ne méritera nos éloges que parce qu'elle ne se nuit pas à elle-même, et non parce qu'elle serait hors d'atteinte de la part de quiconque voudrait la frapper. De plus, si la nature des ténèbres a nui à la nature de Dieu, la nature de Dieu a nui à la nature des ténèbres. Ce sont donc là deux maux qui se combattent réciproquement; encore faut-il remarquer que la nation des ténèbres a été la moins coupable : car si elle a nui, elle a nui sans le vouloir; ce qu'elle se proposait, ce n'était pas de nuire, mais de jouir du bien de Dieu. Au contraire, Dieu voulait anéantir cette nation rivale; c'est du moins ce que Manès affirme clairement dans la lettre de son Fondement ruineux. Il venait de dire: « Ainsi fut fondé son glorieux empire sur la terre de lumière et de bonheur, en sorte que rien au monde ne peut ni l'ébranler ni le détruire ». Puis, oubliant ces paroles, il ajoute presque aussitôt: «Le Père de la lumière bienheureuse, prévoyant la ruine immense qui devait surgir du sein des ténèbres et menacer son règne de bonheur, comprit qu'il fallait leur opposer une puissance imposante, capable de détruire la race des ténèbres, afin qu'après cette destruction les habitants de la lumière pussent jouir d'un repos éternel ». Voilà donc que Dieu craint pour son empire le ravage et la destruction. Comment alors cet empire était-il fondé sur une terre brillante et heureuse, à tel point qu'il ne pouvait être ni ébranlé ni renversé par personne ? Mû par la crainte, le voilà qui entreprend de nuire à la nation voisine ; il multiplie les efforts pour la détruire, afin de procurer aux habitants de la lumière un repos éternel. Pourquoi ne pas ajouter et un esclavage éternel? Est-ce que ces âmes fixées pour jamais dans le gouffre des ténèbres, n'habitaient pas ce royaume de lumière? n'est-ce pas d'elles qu'il a dit qu' « elles avaient été condamnées à errer loin de leur nature lumineuse? » Il était ainsi forcé d'avouer qu'elles avaient péché par l'effet de leur libre volonté; lui qui ne voit dans le péché que le résultat de la coaction exercée par la nature contraire. Il prouve ainsi qu'il ne sait pas ce qu'il dit; je me le représenterais volontiers comme renfermé lui-même dans le gouffre de ténèbres dont il a le mérite de l'invention, et dont il cherche inutilement à sortir. Mais libre à lui de débiter ses mensonges aux malheureux qu'il a séduits, et qui ont pour lui plus de, respect qu'ils n'en ont pour Jésus-Christ; ce n'est pas trop de leur vendre ses fables, aussi ennuyeuses que sacrilèges, moyennant quelques témoignages d'adoration. Je lui laisse toute son éloquence: libres lui d'enchaîner la nation des ténèbres dans un cachot ténébreux, sauf à enchaîner au dehors la nature de lumière, à laquelle il promet un repos perpétuel, après la destruction de son ennemi. Dans une telle condition, est-ce que le châtiment de la lumière n'est pas plus cruel que celui des ténèbres? est-ce que la nature divine n'est pas punie plus rigoureusement que la nation ennemie? Celle-ci, sans doute, est plongée dans les ténèbres, mais il est dans sa nature d'habiter les ténèbres; quant à ces âmes, qui n'ont d'autre Rature que la nature même de Dieu, et qui, dit-il, n'ont pu entrer dans ce royaume pacifique, elles seront donc privées de la vie et de la liberté de la lumière sainte, et fixées pour toujours dans ce gouffre d'horreur ! Voici, sur ce sujet, les paroles mêmes de Manès . « Ces mêmes âmes adhéraient aux objets qu'elles avaient aimés ; rejetées pour toujours dans ce gouffre de ténèbres, elles cherchaient encore à en sortir par leurs mérites ». La volonté ne jouit donc pas du libre arbitre ? Voyez jusqu'à quel point cet insensé ignore ce qu'il avance, comme par ses contradictions il se fait à lui-même une guerre plus cruelle que celle même qu'il déclare au dieu de la nation des ténèbres. Si les âmes de la lumière sont damnées parce qu'elles ont aimé les ténèbres, quelle injustice de damner la nation des ténèbres, qui a si ardemment aimé la lumière ! Oui, dès le commencement la nation des ténèbres a ardemment aimé la lumière ; puisqu'elle voulait la posséder, pouvait-elle avoir la volonté de l'éteindre? Au contraire, la nature de lumière a voulu détruire les ténèbres ; à peine vaincue, elle les a aimées. Je vous donne le libre choix: Son amour pour les ténèbres lui était-il imposé par une invincible nécessité, ou procédait-il d'une volonté libre? Dans le premier cas, pourquoi est-elle damnée? Dans le second, comment expliquer une telle iniquité dans la nature de Dieu ? Si la nature de Dieu a subi la nécessité d'aimer les ténèbres, elle a donc été vaincue et non victorieuse ; si cet amour a été de sa part parfaitement volontaire, pourquoi dès lors ne pas attribuer ouvertement la volonté de pécher à la lumière que Dieu a engendrée, plutôt qu'à la nature qu'il a tirée du néant ?
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Concerning the Nature of Good, Against the Manichaeans
Chapter 42.--Manichaean Blasphemies Concerning the Nature of God.
What can be compared to those blasphemies? Absolutely nothing, unless the errors of other sectaries be considered; but if that error be compared with itself in another aspect, of which we have not yet spoken, it will be convicted of far worse and more execrable blasphemy. For they say that some souls, which they will have to be of the substance of God and of absolutely the same nature, which have not sinned of their own accord, but have been overcome and oppressed by the race of darkness, which they call evil, for combating which they descended not of their own accord, but at the command of the Father, are fettered forever in the horrible sphere of darkness. So according to their sacrilegious vaporings, God liberated Himself in a certain part from a great evil, but again condemned Himself in another part, which He could not liberate, and triumphed over the enemy itself as if it had been vanquished from above. O criminal, incredible audacity, to believe, to speak, to proclaim such things about God! Which when they endeavor to defend, that with their eyes shut they may rush headlong into yet worse things, they say that the commingling of the evil nature does these things, in order that the good nature of God may suffer so great evils: for that this good nature in its own sphere could or can suffer no one of these things. As if a nature were lauded as incorruptible, because it does not hurt itself, and not because it cannot suffer hurt from another. Then if the nature of God hurt the nature of darkness, and the nature of darkness hurt the nature of God, there are therefore two evil things which hurt each other in turn, and the race of darkness was the better disposed, because if it committed hurt it did it unwillingly; for it did not wish to commit hurt, but to enjoy the good which belonged to God. But God wished to extinguish it, as Manichaeus most openly raves forth in his epistle of the ruinous Foundation. For forgetting that he had shortly before said: "But His most resplendent realms were so founded upon the shining and happy land, that they could never be either moved or shaken by any one;" he afterwards said: "But the Father of the most blessed light, knowing that great ruin and desolation which would arise from the darkness, threaten his holy worlds, unless he should send in opposition a deity excellent and renowned, mighty in strength, by whom he might at the same time overcome and destroy the race of darkness, which having been extinguished, the inhabitants of light would enjoy perpetual rest." Behold, he feared ruin and desolation that threatened his worlds! Assuredly they were so founded upon the shining and happy land that they never could be either moved or shaken by any one? Behold, from fear he wished to hurt the neighboring race, which he endeavored to destroy and extinguish, in order that the inhabitants of light might enjoy perpetual rest. Why did he not add, and perpetual bondage? Were not these souls that he fettered forever in the sphere of darkness, the inhabitants of light, of whom he says plainly, that "they have suffered themselves to err from their former bright nature?" when against his will he is compelled to say, that they sinned by free will, while he wishes to ascribe sin only to the necessity of the contrary nature: everywhere ignorant what to say, and as if he were himself already in the sphere of darkness which he invented, seeking, and not finding, how he may escape. But let him say what he will to the seduced and miserable men by whom he is honored far more highly than Christ, that at this price he may sell to them such long and sacrilegious fables. Let him say what he will, let him shut up, as it were, in a sphere, as in a prison, the race of darkness, and let him fasten outside the nature of light, to which he promised perpetual rest on the extinction of the enemy: behold, the penalty of light is worse than that of darkness; the penalty of the divine nature is worse than that of the adverse race. But since although the latter is in the midst of darkness it pertains to its nature to dwell in darkness; but souls which are the very same thing that God is, cannot be received, he says, into those peaceful realms, and are alienated from the life and liberty of the holy light, and are fettered in the aforesaid horrible sphere: whence he says, "Those souls shall adhere to the things that they have loved, having been left in the same sphere of darkness, bringing this upon themselves by their own deserts." Is not this assuredly free voluntary choice? See how insanely he ignores what he says, and by making self-contradictory statements wages a worse war against himself than against the God of the race of darkness itself. Accordingly, if the souls of light are damned, because they loved darkness, the race of darkness, which loved light, is unjustly damned. And the race of darkness indeed loved light from the beginning, violently, it may be, but yet so as to wish for its possession, not its extinction: but the nature of light wished to extinguish in war the darkness; therefore when vanquished it loved darkness. Choose which you will: whether it was compelled by necessity to love darkness, or seduced by free will. If by necessity, wherefore is it damned? if by free will, wherefore is the nature of God involved in so great iniquity? If the nature of God was compelled by necessity to love darkness, it did not vanquish, but was vanquished: if by free will, why do the wretches hesitate any longer to attribute the will to sin to the nature which God made out of nothing, lest they should thereby attribute it to the light which He begat?