I.
Je suis très-sensible à la bienveillance que vous me témoignez dans votre lettre, et soyez assuré que l'affection dont vous m'entourez est pour moi un nouveau motif de vous prodiguer mon amour. Mais hélas ! je suis saisi d'une profonde tristesse quand je vous vois, par opposition contre moi et surtout contre l'immuable vérité, vous attacher obstinément à ces opinions dont la fausseté me paraît de la dernière évidence. Quant aux fausses idées que vous vous faites de moi, je les méprise facilement; il me suffit pour cela de savoir que ce que vous pensez de moi, bien à tort assurément, peut encore se supposer dans un homme. Vous êtes dans l'erreur à mon égard, cependant cette erreur ne va pas jusqu'à me jeter absolument au ban de l'humanité; en effet, si je ne suis pas coupable des erreurs dont vous m'accusez, ces erreurs du moins ne sont pas inconciliables avec un esprit humain. Je ne me crois donc pas obligé à beaucoup d'efforts pour me justifier à vos yeux sur ce point. Ce n'est pas sur moi que repose votre espérance, et vous pouvez être bon, quoique je sois mauvais. Ayez d'Augustin l'opinion qu'il vous plaira; mon seul désir, c'est que ma conscience ne m'accuse pas aux yeux de Dieu. Je puis dire comme l'Apôtre : « Peu m'importe d'être jugé par vous ou par le genre humain1 ». Je ne marcherai donc pas sur vos traces, je rougirais de supposer en vous arbitrairement la plus légère disposition mauvaise. Je ne dis pas que vous avez voulu me déchirer tout en prodiguant des formes flatteuses; pour moi, je vous juge uniquement d'après vos paroles. Malgré la mauvaise opinion que vous avez sur moi; quoique vous supposiez qu'en quittant l'hérésie manichéenne, j'aie voulu me soustraire à certaines mortifications de la chair qu'il m'aurait fallu subir dans votre secte ; quoique vous disiez que je n'ai embrassé le catholicisme que dans des vues d'ambition, je porte la charité plus loin à votre égard, et je veux bien croire que vos soupçons ne sont pour moi que de la bienveillance; je suis persuadé également que votre lettre vous a été inspirée, non pas dans le but de m'accuser, mais dans le désir sincère de me ramener au bien. De votre côté, si votre bienveillance veut bien alter jusqu'à croire à la sincérité de mes paroles, comme je ne puis dévoiler physiquement à vos yeux et vous prouver les dispositions qui m'animent intérieurement et que vous incriminez avec violence, vous changerez promptement d'opinion à mon égard, et vous ne vous exposerez plus affirmer témérairement ce que vous ignorez.
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I Cor. IV, 3. ↩