XX.
Comment donc se peut-il que vous ne renonciez point encore à votre impiété, à vos horribles blasphèmes? Comment, dans une nature que Dieu n'a pas créée, supposer la vie, le sentiment, la parole, le mode, la beauté, l'ordre et d'autres biens a l'infini ? Comment, antérieurement à tout mélange du mal, supposer en Dieu la mutabilité, en vertu de laquelle il fut saisi de crainte? « envoyant ses siècles bienheureux menacés d'une grande ruine et d'une dévastation générale, s'il ne parvenait à y opposer une puissance éclatante et suprême1? » Et tout ce déploiement de- forces, n'est-ce pas afin que cette nature et cette substance de Dieu retinssent son ennemi si étroitement enchaîné, que son péché même ne pût le délivrer, qu'après sa purification il ne pût échapper tout entier, et qu'enfin pendant sa damnation, elles pussent encore le retenir dans les fers? C'est là ce que vous alléguez en faveur de votre dieu, pour le justifier de la nécessité où il s'est trouvé de faire la guerre ; vous feriez beaucoup mieux de répondre à cette question qui vous est faite : quel mal pouvait faire à Dieu la nation des ténèbres, s'il avait refusé de combattre contre elle? Si vous répondez que cette nation pouvait nuire à Dieu, il vous faudra avouer que Dieu est corruptible et muable. Si vous répondez qu'elle ne pouvait lui porter aucune atteinte, on va vous répliquer : pourquoi donc a-t-il combattu? Pourquoi livrer à ses ennemis sa propre substance et l'exposer ainsi à la corruption, à la profanation et au péché? A cela vous n'aurez jamais rien à répondre pour vous justifier.
Mais voici que vous triomphez à vos propres yeux, parce que vous avez trouvé la réponse suivante: « C'est une grande iniquité de désirer le bien d'autrui » ; or, « Dieu aurait favorisé cette iniquité s'il avait refusé de combattre cette nation quand elle tentait de la commettre. Cette réponse aurait encore quelque apparence de justice, si dans cette guerre la nature de votre Dieu avait pu se conserver dans son intégrité et dans son innocence, et si, mêlée à des membres hostiles, elle était restée pure de toute iniquité; peu m'importe du reste qu'elle s'y soit livrée sous l'influence de la coaction ou de la séduction. Mais quand vous avouez ,vous-même qu'elle a été ensevelie dans des hontes et des crimes sans nombre, quand vous nous la représentez en proie à une impiété telle, qu'elle se déclare l'ennemie acharnée de la sainte lumière dont elle est une portion ; quand enfin vous nous déclarez qu'elle n'a pu être purifiée tout entière et qu'elle est fixée pour jamais à ce globe horrible, pour y subir des châtiments éternels, ne sommes-nous pas en droit de conclure qu'on devait laisser l'ennemi tramer dans son iniquité des projets inutiles, plutôt que de lui donner en pâture une portion de Dieu dont il devait épuiser les forces, qu'il devait flétrir, et dans sa flétrissure l'associer à son iniquité? A moins de s'obstiner jusqu'à l'aveuglement, comment ne pas sentir et comprendre qu'iniquité pour iniquité, celle qu'aurait commise la nation des ténèbres, en cherchant en vain à s'emparer d'une nature étrangère, eût été infiniment plus légère que celle que Dieu a dû commettre, en livrant une partie de lui-même à l'iniquité, et en la condamnant ainsi à des châtiments éternels? Est-ce que ce n'est pas là consentir à l'iniquité? est-ce que ce n'est pas la commettre sans aucune nécessité? Quelle nécessité pouvait-il y avoir? Manès l'affirme, mais vous n'osez le suivre jusque-là. Voici ses paroles : «Dieu vit qu'une grande ruine et une dévastation immense menaçaient ses siècles heureux, s'il n'y opposait une puissance suprême ». Pour vous, vous raisonnez un peu plus habilement, vous semblez dire que si Dieu a combattu, c'est parée qu'il se trouvait dans la nécessité de se soustraire aux attaques de la nation des ténèbres; mais vous ne remarquez pas que vous refusez à Dieu l'inviolabilité et l'incorruptibilité, puisque, s'il avait renoncé au combat, l'ennemi aurait pu lui nuire. Allons, que la pensée même de ce combat disparaisse à jamais de votre coeur et de votre croyance ; frappez d'anathème et de malédiction cette fable ridicule où l'impiété se mêle à d'horribles blasphèmes. De quel blasphème, dites-moi, ne vous souillez-vous pas en faisant de Dieu une nature soumise à l'iniquité et à la corruption; en supposant, non-seulement qu'il n'a au déployer assez de force pour se soustraire à l'esclavage, mais que, devenu captif, il n'a pu conserver la justice et l'innocence? Ce que votre Dieu n'a pu, Daniel l'a fait ; il a su braver la fureur des lions, lui qui n'a pas craint, tout captif qu'il était, d'opposer sa piété comme un obstacle infranchissable au consentement pervers que ses ennemis lui imposaient; lui enfin qui, dans sa misérable condition d'esclave, sut conserver son égalité et la liberté d'un esprit patient et sage2. Il n'en fut pas de même de la nature de Dieu : elle devint captive, elle fut livrée à l'iniquité ; ne pouvant être purifiée tout entière, elle se vit réduite à une éternelle damnation. Si de toute éternité elle prévoyait qu'un semblable malheur devait lui arriver, à quoi sa divinité pouvait-elle lui servir ? Mais je ne veux pas entrer dans l'examen détaillé de toutes ces folies, plus que ridicules, auxquelles Manès s'abandonne au sujet du royaume de lumière et de la nation des ténèbres, pas plus que du voisinage dans lequel il lui faut les placer pour l'utilité de son système. Ce système, aux yeux de tout homme sérieux, est du dernier ridicule; à vos yeux il est d'une imposante sublimité, il vous représente parfaitement le côté droit et le côté gauche dont il est parlé par Jésus-Christ dans l'Evangile. Or; nous savons parfaitement que ce côté droit et ce côté gauche ne désignent nullement des lieux matériels; ils ne sont que la figure du bonheur et des infortunes, qui seront le prix accordé aux justes ou aux pécheurs comme salaire de leurs oeuvres bonnes ou mauvaises. Mais votre pensée charnelle ne peut se détacher des choses matérielles ; pour vous, tout est dans la matière; ce soleil visible et corporel qui ne peut occuper qu'un lieu, un espacé corporel,. n'en avez-vous pas fait votre Dieu ou une partie de votre Dieu? Mais ce serait folie de ma part d'agiter avec vous de semblables questions Comment, en effet, pourriez-vous concevoir ce qui est spirituel, quand vous ne pouvez même pas admettre que Dieu soit incorruptible?