XII.
J'ai dit : Qu'on nous lise les divines Ecritures, et nous croyons aussitôt. Mais ne vous laissez pas induire en erreur par ceux qui appuient ordinairement leurs affirmations à cet égard, sur un passage du livre du saint homme Job, où il est écrit : « Comment l'homme sera-t-il juste devant le Seigneur, ou comment celui qui est né de la femme pourra-t-il se rendre pur? Si la lune ne brille pas toujours, quand Dieu le lui commande ; si les étoiles ne sont pas pures devant lui, à plus forte raison l'homme, qui n'est que pourriture, et le fils de l'homme, qui n'est qu'un ver de terre, ne le seront, pas1 ». Ils prétendent conclure de ces paroles que les étoiles ont un esprit raisonnable, et, en même temps, qu'elles ne sont pas exemptes de péché ; mais qu'elles sont dans les cieux par suite de la légèreté de leur faute, qui leur a mérité une plus grande ou une meilleure place. Je ne pense pas qu'on doive attribuer à cette maxime une autorité divine. Car ce n'est point Job lui-même qui l'a énoncée, — Job à qui a été rendu, de la part de Dieu, un témoignage qui est en quelque sorte particulier à lui seul, savoir que, ses lèvres ont été exemptes de péché devant le Seigneur2 », — mais bien un de ses amis, appelés tous consolateurs de ses maux3 », et condamnés par la bouche de Dieu même. Nous ne croyons pas à la vérité de toutes les paroles qui sont rapportées dans l'Evangile, quoiqu'il soit très-véritable qu'elles ont été prononcées ; car, d'après le témoignage véridique de l'Evangile même, les Juifs ont dit beaucoup de choses fausses et impies : de même aussi, dans ce livre où sont rapportées les paroles de plusieurs personnes, il ne faut pas seulement considérer ce qui y est dit, mais il faut voir aussi quelle est la personne qui le dit, et ne pas recevoir indifféremment tout ce qui est écrit dans un livre saint quelconque; car alors, ce qu'à Dieu ne plaise, nous serions obligés de reconnaître comme vraie et comme juste la pensée suggérée à cet homme saint par son épouse insensée, de prononcer quelque parole contre Dieu, afin d'être délivré, par la mort, de ces souffrances intolérables4. Cependant, en m'exprimant ainsi, je ne prétends pas que ces amis, réprouvés par le Seigneur et justement flétris par son serviteur lui-même, si saint, je ne prétends pas qu'ils n'ont pu rien dire de vrai; mais seulement que toutes les paroles qu'ils ont prononcées ne doivent pas être regardées comme vraies. En effet, quoiqu'ils n'aient rien dit de vrai contre Job, cependant, celui qui sait peser avec un sage discernement les paroles d'un discours, peut encore saisir dans leurs expressions quelque pensée saine et rendant témoignage à la vérité. Mais, lorsque dans nos recherches nous voulons qu'on nous prouve quelque chose par le témoignage des saintes lettres, on ne peut pas nous dire qu'il faut croire ce qui est écrit dans l'Evangile, dans le cas où l'évangéliste déclare que ces paroles ont été prononcées par une personne qui n'a pas de droit à notre foi. Par exemple, les Juifs, dans l'Evangile, disent â Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Ne disons-nous pas avec vérité que vous êtes un samaritain et un possédé du démon5 ? » Ces paroles sont pour nous d'autant plus détestables que nous avons plus d'amour pour le Christ; et cependant nous ne pouvons pas douter qu'elles n'aient été prononcées par les Juifs, si nous croyons à la véracité infaillible du récit évangélique. Ainsi nous avons en horreur la voix du juif qui blasphème, sans aucun préjudice pour la foi que nous avons au récit de l'évangéliste. Et non-seulement notre foi ne se soumet pas aux hommes impies et dont le nom fait horreur, comme à des autorités canoniques, mais elle ne se soumet pas même à ceux qui sont jeunes dans la foi, et encore grossiers et ignorants, si parfois leurs paroles sont rapportées dans l'Ecriture. Ainsi cet aveugle-né dont le Seigneur avait ouvert les yeux, dit en saint Jean: « Nous savons que Dieu n'exauce pas les pécheurs6 » ; mais nous ne devons pas pour cela recevoir cette maxime comme une autorité évangélique, et résister par là même aux paroles du Seigneur. Car il a, de sa bouche divine, affirmé dans l'Evangile que celui qui avait dit : « Seigneur, soyez-moi, propice, à moi qui suis un pécheur », descendit du temple plus justifié que le pharisien, qui avait fait avec orgueil le récit de ses propres vertus7. Et cet homme nouvellement éclairé de la lumière du corps, ne doit pas s'indigner si nous disons que, dans le noviciat de sa foi, lorsqu'il ne savait pas encore quel était celui qui l'avait guéri, il a avancé cette maxime trop peu réfléchie, « que le Seigneur n'exauce « pas les pécheurs ». Car on voit que les Apôtres eux-mêmes, choisis de préférence aux autres, placés immédiatement aux côtés du Seigneur et suspendus à ses lèvres, ont dit beaucoup de choses qui ne pouvaient être approuvées et dont l'énumération serait trop longue ; de telle sorte que le bienheureux Pierre mérita, pour quelques-unes de ses paroles, non-seulement d'être blâmé, mais même d'être appelé Satan8.