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De la trinité
CHAPITRE VII.
LA FOI EST NÉCESSAIRE A L’HOMME POUR PARVENIR UN JOUR AU BONHEUR, CE QUI N’AURA LIEU QUE DANS LA VIE A VENIR. RIDICULE ET MISÉRABLE BONHEUR DES ORGUEILLEUX PHILOSOPHES.
- Conséquemment la foi en Dieu est surtout nécessaire en cette vie si pleine d’erreurs et de peines. Il n’est pas possible d’imaginer d’où viendraient les biens, particulièrement ceux qui rendent bon et ceux qui rendront heureux, s’ils ne descendent pas de Dieu sur l’homme pour l’enrichir. Mais quand, au sortir de cette vie, celui qui sera resté bon et fidèle au milieu de ses misères, entrera dans la vie heureuse, alors il lui arrivera ce qui est absolument impossible ici-bas, de vivre selon ses désirs. En effet, au sein de cette félicité, il ne voudra plus le mal, il ne voudra rien de ce qu’il n’aura pas, et il ne lui manquera rien de ce qu’il désirera. Il aura tout ce qu’il aimera, et ne désirera rien de ce qu’il n’aura pas. Tout ce qui sera là, sera bon, le Dieu souverain sera le souverain bien et appartiendra en jouissance à ceux qui l’aiment: et, pour comble de bonheur, on aura la certitude que cela durera toujours.
Sans doute, les philosophes se sont fait certains genres de bonheur, au gré de leurs caprices, comme s’il eussent pu, par leur vertu propre, ce qui est impossible à la condition humaine, vivre comme ils voudraient. Ils sentaient que pour être heureux, il faut absolument posséder ce qu’on désire, et ne rien souffrir de ce qu’on ne veut pas souffrir. Or, qui ne voudrait avoir à sa disposition le genre de vie qui lui plaît et qu’il appelle le bonheur, de manière à le faire toujours durer ? Mais qui le peut? Quel homme désire, pour l’honneur de les supporter avec courage, même les incommodités qu’il veut et peut supporter quand il les éprouve? Qui désire vivre dans les tourments, même parmi ceux qui sauraient y vivre vertueux à l’aide de la patience et sans s’écarter de la justice ? Tous ceux, justes ou pécheurs, qui ont enduré des maux de ce genre, soit qu’ils les aient désirés, soit qu’ils aient redouté de perdre ce qu’ils aimaient, tous savaient bien que ces maux seraient passagers. Beaucoup même tendaient courageusement, à travers des épreuves éphémères, à des biens qui ne devaient pas finir. Et certainement l’espérance rend heureux ceux qui souffrent ainsi des maux passagers, par lesquels on achète des biens qui dureront toujours. Mais être heureux en espérance, ce n’est pas encore être heureux, puisque c’est attendre par la patience un bonheur qu’on ne possède pas encore. Or, celui qui n’a pas cette espérance, qui souffre sans attendre cette récompense, celui-là a beau être patient: il n’est pas véritablement heureux, il n’est que courageusement malheureux. Car il ne cesse pas d’être malheureux parce qu’il le serait davantage, s’il supportait impatiemment son malheur.
Mais quand même il ne souffrirait pas en son corps ce qu’il n’y veut pas souffrir, il ne serait pas heureux pour autant, puisqu’il ne vit pas comme il veut. En effet, pour ne pas parler d’autres maux qui atteignent l’âme sans blesser le corps, dont nous voudrions être exempts et qui sont sans nombre, assurément il voudrait, s’il était possible de maintenir son corps dans cet état de santé et d’intégrité, et de n’en être jamais incommodé, il voudrait que cela dépendît de sa volonté, ou de l’incorruptibilité du corps lui-même. Or cela n’étant pas ou restant fort précaire, il ne vit certainement pas comme il veut. En effet, bien qu’il soit disposé à accepter et à supporter courageusement tout ce qui peut lui arriver de fâcheux, il aimerait cependant mieux qu’il ne lui arrivât rien et il fait tout ce qu’il peut pour se garantir. Il est donc prêt à l’alternative : il désire l’un, et il évite l’autre, autant que possible, et si ce qu’il évite lui arrive, il le supportera patiemment parce qu’il n’a pu obtenir ce qu’il désirait. Il fait donc effort pour ne pas être accablé, mais il voudrait être débarrassé du fardeau. Peut-ou dire alors qu’il vit comme il veut? Serait-ce parce qu’il est disposé à supporter de bon coeur ce qu’il aurait voulu éviter ? Alors c’est vouloir ce qu’on peut, quand on ne peut pas ce qu’on veut. Pourtant voilà tout le bonheur — dirai-je ridicule ? dirai-je misérable ? — de ces fiers mortels qui se vantent de vivre comme ils veulent, parce qu’ils supportent volontiers et patiemment ce qu’ils voudraient bien pouvoir éviter. C’est là, (512) disent-ils, le sage avis que donne Térence: « Si ce que tu veux est impossible, tâche de vouloir ce que tu peux (Andr., act. II, sc,. I, V, 5, 6) ». Excellent conseil, qui le nie ? Mais conseil donné à un malheureux, pour l’empêcher d’être malheureux. Quant à celui qui possède réellement le bonheur que tout le monde désire, il ne serait ni vrai ni juste de lui dire: Ce que tu veux est impossible. Car, s’il est heureux, tout ce qu’il veut est possible, puisqu’il ne veut rien d’impossible. Mais cette vie n’appartient pas à notre condition mortelle; elle n’est possible qu’au sein de l’immortalité. Et si l’immortalité ne peut être le partage de l’homme, c’est en vain qu’il cherche le bonheur : car il n’y a pas de bonheur sans l’immortalité.
Edition
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De Trinitate
VII.
[VII 10] Ac per hoc in ista mortali vita erroribus aerumnisque plenissima praecipue fides est necessaria qua in deum creditur. Non enim quaecumque bona maximeque illa quibus quisque fit bonus et illa quibus fiet beatus, unde nisi a deo in hominem veniant et homini accedant inveniri potest. Cum autem ex hac vita ab eo qui in his miseriis fidelis et bonus est ventum fuerit ad beatam, tunc erit vere quod nunc esse nullo modo potest ut sic homo vivat quomodo vult. Non enim volet male vivere in illa felicitate aut volet aliquid quod deerit aut deerit quod voluerit. Quidquid amabitur aderit, nec desiderabitur quod non aderit. Omne quod ibi erit bonum erit, et summus deus summum bonum erit atque ad fruendum amantibus praesto erit, et quod est omnino beatissimum ita semper fore certum erit.
Nunc vero fecerunt quidem sibi philosphi sicut eorum cuique placuit vitas beatas suas ut quasi propria virtute possent quod communi mortalium condicione non poterant, sic scilicet vivere ut vellent. Sentiebant enim aliter beatum esse neminem posse nisi habendo quod vellet et nihil patiendo quod nollet. Quis autem non qualemcumque vitam qua delectatur et ideo beatam vocat vellet sic esse in sua potestate ut eam posset habere perpetuam? Et tamen quis ita est? Quis vult pati molestias quas fortiter toleret, quamvis eas velit possitque tolerare si patitur? Quis velit in tormentis vivere etiam qui potest in eis per patientiam tenendo iustitiam laudabiliter vivere? Transitura cogitaverunt haec mala qui ea pertulerunt vel cupiendo habere vel timendo amittere quod amabant, sive nequiter sive laudabiliter. Nam multi per transitoria mala ad permansura bona fortiter tetenderunt. Qui profecto spe beati sunt etiam cum sunt in transitoriis malis per quae ad bona non transitura perveniunt.
Sed qui spe beatus est nondum beatus est. Exspectat namque per patientiam beatitudinem quam nondum tenet. Qui vero sine ulla spe tali, sine ulla tali mecede cruciatur quantamlibet adhibeat tolerantiam, non est beatus veraciter sed miser fortiter. Neque enim propterea miser non est quia miserior esset si et impatienter miseriam sustineret. Porro si ista non patitur quae nollet pati in suo corpore, ne tunc quidem beatus habendus est quoniam non vivit ut vult. Ut enim alia omittam quae copore inlaeso ad animi pertinent offensiones sine quibus vivere vellemus et sunt innumerabilia, vellet utique si posset ita salvum atque incolume habere corpus et nullas ex eo pati molestias, ut id haberet in potestate aut in ipsius incorruptione corporis; quod quia non habet ac pendet incerto, profecto non vivit ut vult. Quamvis enim per fortitudinem sit paratus excipere et aequo ferre animo quidquid adversitatis acciderit, mavult tamen ut non accidat et si possit facit; atque ita paratus est in utrumque ut quantum in ipso est alterum optet, alterum vitet, et si quod vitat incurrerit, ideo volens ferat quia fieri non potuit quod volebat. Ne opprimatur ergo sustinet, sed premi nollet. Quomodo ergo vivit ut vult? An quia volens fortis est ad ferenda quae nollet inlata? Ideo igitur id vult quod potest quoniam quod vult non potest. Haec est tota, utrum ridenda an potius miseranda, superborum beatitudo mortalium gloriantium se vivere ut volunt quia volentes patienter ferunt quae accidere sibi nolunt. Hoc est enim aiunt quod sapienter dixit Terentius:
Quoniam non potest id fieri quod vis,
Id velis quod possis.
Commode hoc dictum esse quis negat? Sed consilium est datum misero ne esset miserior. Beato autem quales se esse omnes volunt non recte nec vere dicitur, non potest fieri quod vis. Si enim beatus est, quidquid vult fieri potest quia non vult quod fieri non potest. Sed non est mortalitatis huius haec vita, nec erit nisi quando et immortalitas erit. Quae si nullo modo dari homini posset, frustra etiam beatitudo quaereretur quia sine immortalitate non potest esse.