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De la trinité
CHAPITRE XIV.
L’AME, EN S’AIMANT CONVENABLEMENT, AIME DIEU; SI ELLE NE L’AIME PAS, ON DOIT DIRE QU’ELLE SE HAIT ELLE-MÊME. QU’ELLE SE TOURNE VERS DIEU POUR SE SOUVENIR DE LUI, LE COMPRENDRE, L’AIMER, ET, PAR LA MÊME, ÊTRE HEUREUSE.
- Nous trouvons, dans les divines Ecritures, une multitude de textes sur l’amour de Dieu. Là aussi on comprend parfaitement ces deux points : que personne n’aime ce dont il ne se souvient pas, ni ce qu’il ignore entièrement. De là ce commandement principal et si connu : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu (Deut., VI, 5 ). » Telle est la nature de l’âme humaine, que toujours elle se souvient d’elle-même, que toujours elle se comprend et s’aime elle-même. Mais comme celui qui hait quelqu’un cherche à lui nuire, ainsi a-t-on raison de dire que l’âme se hait quand elle se nuit. Elle se veut du mal sans le savoir, ne pensant pas que ce qu’elle veut lui est nuisible; et cependant elle se veut réellement du mal, quand elle veut ce qui lui nuit. Voilà pourquoi il est écrit: «Celui qui aime l’iniquité, hait son âme (Ps., X ; 6 ) ». Celui donc qui sait s’aimer, aime Dieu; mais celui qui n’aime pas Dieu, s’aimât-il d’ailleurs — c’est l’instinct de la nature — peut passer à juste titre pour se haïr, puisqu’il agit contre son intérêt et se poursuit lui-même comme un ennemi. Erreur effrayante ! tous veulent ce qui leur est avantageux, et beaucoup ne font que ce qui leur est le plus funeste ! Le poète a décrit une maladie semblable chez les animaux muets : « Grands Dieux, épargnez aux bons et gardez aux méchants de pareilles erreurs ! Ces malheureux se mordaient et se déchiraient les membres d’une dent forcenée (Géorg., III, V. 513, 514 )». Ce n’était là qu’une maladie du corps; pourquoi le poète l’appelle-t-il une erreur, sinon parce que tout animal est porté par la nature à se protéger autant qu’il le peut, et que, sous l’empire de ce mal, ceux-là déchiraient les membres mêmes qu’ils auraient voulu conserver?
Or, quand l’âme aime Dieu, et par conséquent, comme nous l’avons dit, se souvient de lui, et le comprend, on lui donne avec raison l’ordre d’aimer son prochain comme soi-même, Car ce n’est plus d’un amour vicieux, mais raisonnable, qu’elle s’aime quand elle aime Dieu : Dieu qui non-seulement l’a faite à son (535) image, mais la renouvelle en détruisant le vieil homme, la réforme quand elle était déformée, la rend heureuse de malheureuse qu’elle était. Eh bien ! qu’elle s’aime tellement que, dans l’alternative, elle aimerait mieux perdre tout ce qui est au-dessous d’elle que de périr elle-même, cependant en abandonnant Celui qui est au-dessus d’elle — pour qui seul elle pourrait conserver sa force afin de jouir de sa lumière, comme le chante le Psalmiste: « Je conserverai ma force pour vous (Ps., LVIII, 10 ) », et ailleurs : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés (Ps., XXXIII, 6 )» — en l’abandonnant, dis-je, elle est devenue si faible, si ténébreuse, que descendant au-dessous d’elle-même à des choses qui ne sont pas ce qu’elle est et auxquelles elle est supérieure, elle s’est misérablement prostituée à des amours qu’elle ne peut vaincre et à des erreurs dont elle ne sait plus se dégager. Ce qui fait que, pénitente par l’effet de la compassion divine, elle s’écrie par la voix du Psalmiste: « Ma force m’a abandonné et la lumière de mes yeux n’est plus avec moi (Ps., XXXVII, 11 ) ».
Cependant au milieu de ces tristes suites de l’infirmité et de l’erreur, elle n’a pu perdre ce que la nature lui a donné : la faculté de se souvenir , de se comprendre et de s’aimer. Voilà pourquoi le Psalmiste a pu dire ce que je citais plus haut: « Quoique l’homme marche en image, cependant il s’agite en vain ; il amasse des trésors et il ne sait qui les recueillera (Ps., XXXVIII, 7 )». Pourquoi en effet amasse-t-il des trésors, sinon parce que sa force l’a abandonné, cette force par qui il possédait Dieu et n’avait besoin de rien? Et pourquoi ne sait-il pour qui il amasse, sinon parce que la lumière de ses yeux n’est plus avec lui? C’est pourquoi il ne voit pas ce que dit la vérité: « Insensé, cette « nuit même on te redemandera ton âme, et ce que tu as amassé, à qui sera-t-il (Luc., XII, 20 )? »Cependant, comme cet homme marche encore en image, et comme son âme conserve toujours la mémoire, l’intelligence et l’amour de soi-même : si on lui disait qu’il ne peut tout garder et qu’on le mît dans l’alternative ou de perdre les trésors qu’il a amassés, ou de perdre son âme, serait-il donc assez fou pour ne pas préférer son âme à ses trésors? Les trésors trop souvent corrompent l’âme; mais l’âme que les trésors n’ont pas corrompue, vit plus facilement et plus librement sans trésors. Et peut-on posséder des trésors autrement que par l’âme ? Si l’enfant au berceau, quoique né au sein de l’opulence et maître de tout ce qui lui appartient de droit, ne possède rien parce que son âme est aux langes, comment quelqu’un privé de son âme pourra-t-il rien posséder? Mais pourquoi parler de trésors que tout le monde, dans l’alternative, aimera mieux perdre que de perdre, son âme? Il n’est personne qui les mette au dessus, personne même qui les estime à l’égal des yeux du corps, qui ne sont pas une propriété rare comme celle de l’or, mais en vertu desquels tout homme possède le ciel : car, par les yeux du corps, tout homme prend possession de tout ce qui lui fait plaisir à voir. Qui donc dans le cas où il ne pourrait garder les uns et les autres et serait obligé de perdre ses yeux ou ses trésors, ne sacrifierait ses trésors à ses yeux ? Et pourtant, s’il était placé dans la même alternative pour ses yeux et son âme, qui ne voit qu’il préférerait son âme à ses yeux? L’âme sans les yeux est encore une âme humaine, et sans l’âme les yeux de la chair sont des yeux de bête. Or qui n’aimerait mieux être un homme privé de la vue, qu’un animal doté de la vue?
Je dis tout ceci pour faire comprendre en peu de mots aux personnes les moins intelligentes qui pourraient lire ou entendre lire ces pages, combien l’âme s’aime elle-même, encore qu’elle soit faible et qu’elle s’égare à aimer et à poursuivre à tort ce qui est au-dessous d’elle. Or elle ne pourrait pas s’aimer si elle s’ignorait absolument, c’est-à-dire si elle ne se souvenait pas d’elle-même, et ne se comprenait pas; et ce titre d’image de Dieu lui donne une telle puissance qu’elle peut s’attacher à Celui dont elle est l’image. Car tel est son rang, non dans l’espace local, mais dans la hiérarchie des natures, qu’elle n’a que Dieu au-dessus d’elle. Et quand elle lui est parfaitement unie, elle ne fait plus qu’un esprit avec lui, ainsi que l’atteste l’Apôtre, quand il dit: « Celui qui s’unit au Seigneur, est un seul esprit avec lui (Cor., VI, 17 ) ». En ce cas, elle s’élève jusqu’à participer à la nature, à la vérité et au bonheur de Dieu, sans que pour autant Dieu croisse en nature, en vérité et en bonheur. Quand donc elle sera heureusement unie à cette nature, elle vivra dans l’immutabilité, et tout ce qu’elle verra sera immuable pour elle. (536) C’est alors que, suivant la promesse de la divine Ecriture, ses désirs seront rassasiés de bonheur (Ps., CII, 5 ), et d’un bonheur immuable, au sein de la Trinité, son Dieu, dont elle est l’image et pour que cette image ne puisse plus être altérée, elle sera cachée dans le secret de la face divine (Ps., XXX, 21 ), et remplie par elle d’une telle abondance qu’elle n’éprouvera plus jamais de plaisir à pécher. Mais, ici-bas, quand elle se voit, elle ne voit point une chose immuable.
Edition
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De Trinitate
XIV.
[XIV 18] De dilectione autem dei plura reperiuntur in divinis eloquiis testimonia. Ibi enim et illa duo consequenter intelleguntur quia nemo diligit cuius non meminit et quod penitus nescit. Unde illud est notissimum praecipuumque praeceptum: Diliges dominum deum tuum. Sic itaque condita est mens humana ut numquam sui non meminerit, numquam se non intellegat, numquam se non diligat. Sed quoniam qui odit aliquem nocere illi studet, non immerito et mens hominis quando sibi nocet odisse se dicitur. Nesciens enim sibi vult male dum non putat sibi obesse quod vult, sed tamen male sibi vult quando id vult quod obsit sibi, unde illud scriptum est: Qui diligit iniquitatem odit animam suam. Qui ergo se diligere novit deum diligit; qui vero non diligit deum etiam si se diligit, quod ei naturaliter inditum est, tamen non inconvenienter odisse se dicitur cum id agit quod sibi adversatur et se ipsum tamquam suus inimicus insequitur. Qui profecto est error horrendus ut cum sibi omnes prodesse velint, multi non faciant nisi quod eis perniciosissimum sit. Similem morbum mutorum animalium cum poeta describeret:
Dii, inquit, meliora piis, erroremque hostibus illum!
Discissos nudis laniabant dentibus artus.
Cum morbus ille corporis fuerit, cur dixit errorem nisi quia omne animal cum sibi natura conciliatum sit ut se custodiat quantum potest, talis ille erat morbus ut ea quorum salutem appetebant sua membra laniarent?
Cum autem deum diligit mens et sicut dictum est consequenter eius meminit eumque intellegit, recte illi de proximo suo praecipitur ut eum sicut se diligat. Iam enim se non perverse sed recte diligit cum deum diligit cuius participatione imago illa non solum est, verum etiam ex vetustate renovatur, ex deformitate reformatur, ex infelicitate beatificatur. Quamvis enim se ita diligat ut si alterutrum proponatur, malit omnia quae infra se diligit perdere quam perire, tamen superiorem deserendo ad quem solum posset custodire fortitudinem suam eoque frui lumine suo, cui canitur in psalmo: Fortitudinem meam ad te custodiam, et in alio: Accedite ad eum et inluminamini, sic infirma et tenebrosa facta est ut a se quoque ipsa in ea quae non sunt quod ipsa et quibus superior est ipsa infelicius laberetur per amores quos non valet vincere et errores a quibus non videt qua redire. Unde iam deo miserante poenitens clamat in psalmis: Deseruit me fortitudo mea et lumen oculorum meorum non est mecum.
[19] Non tamen in his tantis infirmitatis et erroris malis amittere potuit naturalem memoriam, intellectum et amorem sui. Propter quod merito dici potuit quod supra commemoravi: Quamquam in imagine ambulat homo, tamen vane conturbatur. Thesaurizat et nescit cui congregabit ea. Cur enim thesaurizat nisi quia fortitudo eius deseruit eum per quam deum habens rei nullius indigeret? Et cur nescit cui congregabit ea nisi quia lumen oculorum eius non est cum eo? Et ideo non videt quod veritas ait: Stulte, hac nocte animam tuam repetunt abs te. Haec quae praeparasti cuius erunt? Verumtamen quia etiam talis in imagine ambulat homo, et habet memoriam et intellectum et amorem sui hominis mens, si ei manifestaretur quod utrumque habere non posset et unum e duobus permitteretur eligere alterum perditurus, aut thesauros quos congregavit aut mentem, quis usque adeo non habet mentem ut thesauros mallet habere quam mentem? Thesauri enim possunt mentem plerumque subvertere, et mens quae thesauris non subvertitur sine ullis thesauris facilius et expeditius potest vivere. Quis vero ullos thesauros nisi per mentem poterit possidere? Si enim puer infans quamvis ditissimus natus, cum sit dominus omnium quae iure sunt eius, nihil possidet mente sopita, quonam tandem modo quisquam quidquam mente possidebit amissa? Sed de thesauris quid loquor quod eius quilibet hominum si talis optio proponatur mavult carere quam mente cum eos nemo praeponat, nemo comparet luminibus corporis quibus non aurum rarus quisque homo sed omnis homo possidet caelum? Per lumina enim corporis quisque possidet quidquid libenter videt. Quis ergo si tenere utrumque non possit et alterutrum cogatur amittere, non thesauros quam oculos malit? Et tamen si ab eo simili condicione quaeratur utrum oculos malit amittere an mentem, quis mente non videat eum oculos malle quam mentem? Mens quippe sine oculis carnis humana est; oculi autem carnis sine mente belluini sunt. Quis porro non hominem se malit esse etiam carne caecum quam belluam videntem?
[20] Haec dixi ut etiam tardiores quamvis breviter commonerentur a me in quorum oculos vel aures hae litterae venerint quantum mens diligat se ipsam etiam infirma et errans male diligendo atque sectando quae sunt infra ipsam. Diligere porro se ipsam non posset si se omnino nesciret, id est si sui non meminisset nec se intellegeret. Qua in se imagine dei tam potens est ut ei cuius imago est valeat inhaerere. Sic enim ordinata est naturarum ordine non locorum ut supra illam non sit nisi ille. Denique cum illi penitus adhaeserit, unus erit spiritus, cui rei attestatur apostolus dicens: Qui autem adhaeret domino unus spiritus est, accedente quidem ista ad participationem naturae, veritatis et beatitudinis illius, non tamen crescente illo in natura, veritate et beatitudine sua. In illa itaque natura cum feliciter adhaeserit immutabile videbit omne quod viderit. Tunc sicut ei divina scriptura promittit satiabitur in bonis desiderium eius, bonis immutabilibus, ipsa trinitate deo suo cuius imago est, et ne uspiam deinceps violetur erit in abscondito vultus eius tanta ubertate eius impleta ut eam numquam peccare delectet.
Se ipsam vero nunc quando videt non aliquid immutabile videt.