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De Trinitate
VIII.
[VIII 12] Nemo dicat: ‚Non novi quod diligam.‘ Diligat fratrem et diligat eandem dilectionem; magis enim novit dilectionem qua diligit quam fratrem quem diligit. Ecce iam potest notiorem deum habere quam fratrem, plane notiorem quia praesentiorem, notiorem quia interiorem, notiorem quia certiorem. Amplectere dilectionem deum et dilectione amplectere deum. Ipsa est dilectio quae omnes bonos angelos et omnes dei servos consociat vinculo sanctitatis, nosque et illos coniungit invicem nobis et subiungit sibi. Quanto igitur saniores sumus a tumore superbiae tanto sumus dilectione pleniores. Et quo nisi deo plenus est, qui plenus est dilectione?
‚At enim caritatem video et, quantum possum, eam mente conspicio et credo scripturae dicenti: Quoniam deus caritas est, et qui manet in caritate in deo manet. Sed cum eam video, non in ea video trinitatem.‘ Immo vero vides trinitatem, si caritatem vides. Sed commonebo, si potero, ut videre te videas; adsit tantum ipsa ut moveamur caritate ad aliquod bonum. Quia cum diligimus caritatem, aliquid diligentem diligimus propter hoc ispum quia diligit aliquid. Ergo quid diligit caritas ut possit etiam ipsa caritas diligi? Caritas enim non est quae nihil diligit. Si autem se ipsam diligit, diligat aliquid oportet ut caritate se diligat. Sicut enim verbum indicat aliquid, indicat etiam se ipsum, sed non se verbum indicat nisi se aliquid indicare indicet; sic et caritas diligit quidem se, sed nisi se aliquid diligentem diligat, non caritate se diligit. Quid ergo diligit caritas nisi quod caritate diligimus? Id autem ut a proximo provehamur frater est. Dilectionem autem fraternam, quantum commendet Iohannes apostolus, attendamus. Qui diligit, inquit, fratrem suum in lumine manet, et scandalum in eo non est. Manifestum est quod iustitiae perfectionem in fratris dilectione posuerit; nam in quo scandalum non est, utique perfectus est. Et tamen videtur dilectionem dei tacuisse. Quod numquam faceret nisi quia in ipsa fraterna dilectione vult intellegi deum. Apertissime enim in eadem epistula paulo post ita dicit: Dilectissimi, diligamus invicem quia dilectio ex deo est, et omnis qui diligit ex deo natus est et cognovit deum. Qui non diligit non cognovit deum, quia deus dilectio est. Ista contextio satis aperteque declarat eandem ipsam fraternam dilectionem (nam fraterna dilectio est qua diligimus invicem) non solum ex deo, sed etiam deum esse tanta auctoritate praedicari. Cum ergo de dilectione diligimus fratrem, de deo diligimus fratrem; nec fieri potest ut eandem dilectionem non praecipue diligamus qua fratrem diligimus. Unde colligitur duo illa praecepta non posse sine invicem. Quoniam quippe deus dilectio est, deum certe diligit qui diligit dilectionem; dilectionem autem necesse est diligat qui diligit fratrem. Et ideo quod paulo post ait: Non potest deum diligere quem non videt, qui fratrem quem videt non diligit, quia haec illi causa est non videndi deum: quod non diligit fratrem. Qui enim non diligit fratrem non est in dilectione, et qui non est in dilectione non est in deo, quia deus dilectio est. Porro qui non est in deo non est in lumine, quia deus lumen est, et tenebrae in eo non sunt ullae. Qui ergo non est in lumine, quid mirum si non videt lumen, id est non videt deum, quia in tenebris est? Fratrem autem videt humano visu quo videri deus non potest. Sed si eum quem videt humano visu, spiritali caritate diligeret, videret deum qui est ipsa caritas visu interiore quo videri potest. Itaque qui fratrem quem videt non diligit, deum quem propterea non videt quia deus dilectio est, qua caret qui fratrem non diligit, quomodo potest diligere? Nec illa iam quaestio moveat: quantum caritatis fratri debeamus impendere, quantum deo. Fratri enim quantum nobis ipsis; nos autem ipsos tanto magis diligimus quanto magis diligimus deum.
Ex una igitur eademque caritate deum proximumque diligimus, sed deum propter deum, nos autem et proximum propter deum.
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De la trinité
CHAPITRE VIII.
AIMER SON FRÈRE, C’EST AIMER DIEU.
- Que personne ne dise : Je ne sais quoi aimer. Qu’il aime son frère et il aimera l’amour même. En effet, il connaît mieux l’amour qui le fait aimer, que le frère qu’il aime. Il peut donc connaître Dieu mieux qu’il ne connaît son frère; beaucoup mieux, parce que Dieu est plus présent; beaucoup mieux, parce qu’il est plus intime; beaucoup mieux, parce qu’il est plus certain. Embrasse le Dieu amour, et tu embrasseras Dieu par l’amour. C’est cet amour qui unit tous les bons anges et tous les serviteurs de Dieu par le lien de la sainteté, nous unit à eux et entre nous, et nous rattache tous à lui. Donc plus nous sommes exempts de la bouffissure de l’orgueil, plus nous sommes remplis d’amour et de quoi, sinon de Dieu, est rempli celui qui est rempli d’amour? — Mais, diras-tu, je vois la charité, je la découvre autant que possible des yeux de l’esprit, et je crois à l’Ecriture qui me dit: « Dieu est charité, et qui demeure dans la charité demeure en Dieu (Jean IV, 16 ) »; mais si je vois la charité, je ne vois pas en elle la Trinité. — Eh bien! tu vois la Trinité, si tu vois la charité. Je ferai mes efforts pour t’en convaincre; seulement qu’elle daigne elle-même nous assister, afin que la charité nous mène à quelque bon résultat.
Quand nous aimons la charité, nous l’aimons comme aimant quelque chose, précisément parce qu’elle aime quelque chose. Qu’aime donc la charité, pour pouvoir elle-même être aimée? Car la charité qui n’aime rien, n’est plus la charité. Or, si elle s’aime elle-même, il faut qu’elle aime quelque chose, afin de s’aimer comme charité. De même que la parole s’indique elle-même en indiquant quelque chose, et ne s’indique pas comme parole, si elle n’indique pas qu’elle indique quelque chose : ainsi la charité s’aime sans doute elle-même, mais si elle ne s’aime pas comme aimant quelque chose, elle ne s’aime pas comme charité. Qu’aime donc la charité, sinon ce que nous aimons par elle? Or, ce quelque chose, à prendre le prochain pour point de départ, c’est notre frère. Et voyez avec quel soin l’apôtre Jean recommande la charité fraternelle: « Celui qui aime son frère (461) demeure dans la lumière, et le scandale n’est point en lui ( Jean, II, 19. )». Il est évident qu’il place la perfection dans l’amour du prochain car celui en qui le scandale n’existe pas est parfait. Néanmoins il semble passer l’amour de Dieu sous silence : ce qu’il ne ferait certainement pas, s’il ne renfermait Dieu lui-même dans l’amour fraternel. Et la preuve, c’est qu’un peu plus bas, dans la même épître, il nous dit en termes très-clairs : « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, parce que la charité est de Dieu. Ainsi quiconque aime, est né de Dieu et connaît Dieu. Qui n’aime point, n’aime pas Dieu, parce que Dieu est charité ». Ce contexte fait voir assez clairement que, selon cette autorité d’un si grand poids, la charité fraternelle — car la charité fraternelle est l’amour que nous nous portons les uns aux autres — non-seulement est de Dieu, mais est Dieu même, Ainsi donc, si notre amour pour notre frère vient de la charité, il vient de Dieu; et il ne peut se faire que nous n’aimions avant tout l’amour même qui nous fait aimer un frère. D’où il faut conclure que ces deux préceptes sont inséparables. Car, puisque « Dieu est charité », celui qui aime la charité aime certainement Dieu; or, celui qui aime son frère aime nécessairement la charité. Aussi l’Apôtre ajoute peu après : « Celui qui n’aime point son frère « qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit point (Id., IV, 7, 8, 20. ) » et la raison pour laquelle il ne voit point Dieu, c’est qu’il n’aime pas son frère. Car celui qui n’aime pas son frère n’est pas dans l’amour, et celui qui n’est pas dans l’amour n’est pas en Dieu, puisque Dieu est amour. Or, celui qui n’est pas en Dieu n’est pas dans la lumière, puisque « Dieu est lumière et qu’il n’y a point en lui de ténèbres (Id., I, 5 ) ». Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que celui qui n’est pas dans la lumière ne voie pas la lumière, c’est-à-dire ne voie pas Dieu, puisqu’il est dans les ténèbres? Seulement il voit son frère des yeux du corps avec lesquels on ne peut voir Dieu. Mais s’il aimait d’une charité spirituelle celui qu’il voit des yeux du corps, il verrait Dieu, qui est la charité même, de cet oeil intérieur par lequel ou. peut le voir. Comment donc celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, pourra-t-il aimer Dieu, qu’il ne voit pas, et qu’il ne voit pas précisément parce que Dieu est amour, l’amour que n’a pas celui qui n’aime pas son frère? Et qu’on ne demande pas combien d’amour nous devons à un frère et combien à Dieu; nous en devons incomparablement plus à Dieu qu’à nous, et autant à un frère qu’à nous-mêmes; mais nous nous aimons d’autant plus nous-mêmes, que nous aimons Dieu davantage. C’est donc par un seul et même amour que nous aimons Dieu et le prochain; mais nous aimons Dieu pour Dieu, et nous-mêmes et le prochain pour Dieu.