CHAPITRE VII.
DU VÉRITABLE AMOUR PAR LE QUEL ON PARVIENT A LA CONNAISSANCE DE LA TRINITÉ. IL FAUT CHERCHER DIEU, EN IMITANT LA PIÉTÉ DES BONS ANGES.
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Ainsi, dans la question de la Trinité et de la connaissance de Dieu, qui nous occupe, le point principal est de savoir ce que c’est que le véritable amour, ou même ce que c’est que l’amour. On ne peut en effet donner le nom d’amour qu’au véritable amour, autrement c’est la passion. C’est donc par abus qu’on donne à la passion le nom d’amour, et à l’amour le nom de passion. Or, ce véritable amour consiste à s’attacher à la vérité pour vivre selon la justice, et par conséquent à dédaigner toutes les choses passagères par amour pour les hommes, par le désir de les voir vivre selon la justice. Nous pourrons alors être prêts à mourir utilement pour nos frères, suivant l’exemple que nous en a donné Notre-Seigneur Jésus-Christ. En effet comme toute la loi et les prophètes se rattachent aux deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain (Matt., XXII, 37-40 ), ce n’est pas sans raison que l’Ecriture met souvent l’un pour l’autre : tantôt elle ne mentionne que l’amour de Dieu, comme dans ce texte : « Nous savons que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu (Rom., VIII, 28 )»; et encore: « Si quelqu’un aime Dieu, celui-là est connu de lui (I Cor., VIII, 3. ) » ; et ailleurs : « Parce que la charité de Dieu est répandue en nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (Rom., V, 5 ) », et dans une foule d’autres passages : la conséquence étant que celui qui aime Dieu fait ce que Dieu commande, et s’aime dans la proportion où il le fait, et par conséquent aime le prochain puisque Dieu en a donné l’ordre. Tantôt l’Ecriture ne parle que de l’amour du prochain, comme ici : « Portez les fardeaux les uns des autres, et c’est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ (Gal., VI, 2 ) », et encore: « Car toute la loi est renfermée dans une seule parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Id., V, 14 ) »; et dans l’Evangile : « Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi; car c’est la loi et les prophètes (Matt., VII, 12. ) ». Dans beaucoup d’autres passages de ce genre, nous voyons que les saintes lettres semblent ne rattacher la perfection qu’à l’amour du prochain, en passant sous silence l’amour de Dieu, quoique la loi et les prophètes se rattachent à ces deux préceptes. Mais la raison en est que celui qui aime son prochain, aime avant tout l’amour lui-même. « Or, Dieu est amour, et qui demeure dans l’amour demeure en (460) Dieu et Dieu en lui (I Jean, IV, 16 ). Donc, en ce cas, c’est Dieu qu’on aime avant tout.
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Par conséquent ceux qui cherchent Dieu par l’intermédiaire des puissances qui gouvernent le monde ou les parties du monde, s’en séparent et en sont jetés à une grande distance; distance, non de lieu, mais d’affection : car, ayant Dieu au dedans d’eux, ils le cherchent péniblement au dehors, en abandonnant leur intérieur. Ainsi quand même ils entendraient une puissance sainte et céleste , ou se la figureraient d’une manière quelconque, ce qu’ils ambitionnent, c’est plutôt le pouvoir de ces esprits, objet d’admiration pour la faiblesse humaine, que l’imitation de leur piété, principe du repos en Dieu. Ils aiment mieux, par orgueil, pouvoir ce que peut un ange, que d’être, par dévotion, ce qu’est un ange. Car ce n’est pas de lui-même qu’un saint tient son pouvoir, mais de celui de qui vient tout pouvoir légitime; et il sait qu’être uni au Tout-Puissant par une pieuse volonté est le signe d’une plus grande puissance, que de pouvoir, par sa volonté propre, produire des oeuvres redoutables à ceux qui ne jouissent pas d’une telle faculté. Aussi le Seigneur Jésus-Christ lui-même, tout en opérant de tels prodiges, mais voulant donner de plus hautes leçons à ceux qui l’admiraient et ramener aux choses éternelles et intérieures leurs esprits attentifs et comme suspendus à des miracles de l’ordre temporel, leur disait: « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai; prenez mon joug sur vous ». Il ne leur dit pas : apprenez de moi que je ressuscite. les morts de quatre jours mais bien ; « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur». En effet une humilité inébranlable est plus puissante et plus sûre qu’une hauteur bouffie d’orgueil. Aussi ajoute-t-il: « Et vous trouverez du repos pour vos âmes (Matt., XI, 28, 29 ) ». Car : « La charité ne s’enfle pas (I Cor., XIII, 4 )»; et: « Dieu est amour (Jean, IV, 8 ) » ; et: « Les fidèles lui obéiront avec amour (Sag., III, 9 ) », étant ramenés des bruits du dehors aux joies silencieuses. Voilà que « Dieu est amour » : pourquoi donc aller et recourir, dans les hauteurs des cieux et dans les profondeurs de la terre, à la recherche de celui qui est en nous, si nous voulons être en lui?