CHAPITRE IX.
DANS L’AMOUR DES CHOSES SPIRITUELLES, LA PAROLE NAÎT EN MÊME TEMPS QU’ELLE EST CONÇUE. IL N’EN EST PAS DE MÊME DES CHOSES CHARNELLES.
- Or la conception et la naissance de la parole sont la même chose, quand la volonté trouve son repos dans la connaissance, comme il arrive dans l’amour des choses spirituelles. Ainsi, par exemple, celui qui connaît et aime parfaitement la justice est déjà juste, même quand il n’y a pas nécessité d’agir selon la justice, par un acte extérieur du corps. Mais dans l’amour des choses charnelles et temporelles, il en est comme dans les enfantements des animaux : autre est la conception de la parole, autre son enfantement. En effet, ce qui se conçoit par le désir, naît par la réalisation. Ainsi il ne suffit pas à l’avarice de connaître et d’aimer l’or, il faut qu’elle le possède; ce n’est pas assez de connaître et d’aimer la nourriture et l’union charnelle, si l’acte ne s’ensuit; ni de connaître et d’aimer les honneurs et les charges, à moins qu’on ne les obtienne. Et quand tout cela est obtenu, cela ne suffit pas encore. « Celui qui boira de cette eau», dit Jésus-Christ, « aura encore soif (Jean, IV, 13 ) ». Aussi le psalmiste disait : « Il a conçu la douleur et enfanté l’iniquité (Ps., VIII, 15 )». Il appelle concevoir la douleur ou le travail, quand on conçoit des choses qu’il ne suffit pas de connaître et de vouloir, vu que l’âme brûle d’ardeur et souffre d’indigence, jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à son but et qu’elle ait comme enfanté l’objet de ses désirs. Ce qui rend si justes ces mots de la langue latine : « parta, reperta, comperta ( Acquis ( et aussi enfanté), trouvé, découvert.) » qui semblent tous dériver du mot « partus (Enfantement ( et aussi acquis ) » .Car « la concupiscence, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché ( Jac. I, 15 )». Aussi le Seigneur s’écrie-t-il « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés ( Matt., XI, 28 )», et ailleurs : «Malheur aux femmes enceintes et à celles qui nourriront en ces jours-là (Id., XXIV, 19. ). Il dit encore,,en rapportant à l’enfantement de la parole toutes les actions bonnes ou mauvaises: « C’est par ta bouche que tu seras justifié et par ta bouche que tu seras condamné (Id., XII, 3 ) » entendons ici par bouche, non pas celle qui est visible, mais la bouche intérieure de la pensée et du coeur.