CHAPITRE VII.
OPINION DES PHILOSOPHES SUR LA SUBSTANCE DE L’ÂME.
Quand l’âme se croit quelque chose de ce genre, elle se prend pour un corps. Et comme elle sent fort bien qu’elle domine le corps, il en est résulté que quelques-uns se sont demandé quel est ce principe plus puissant dans le corps, et ils ont cru que c’était l’intelligence, ou plutôt l’âme tout entière. Les uns ont opiné pour le sang, d’autres pour le cerveau, d’autres pour le coeur — non pas dans ce sens où l’Ecriture dit : « Je vous louerai, Seigneur, de toute l’étendue de mon coeur » ; et encore: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur (Ps., IX, CX, CXXXVII ; Deut., VI, 5 ; Matt., XXII, 37 )» : texte où le coeur est pris pour l’âme, par catachrèse ou par métaphore mais ils ont réellement entendu cette partie du corps que la dissection nous montre dans les entrailles humaines; — d’autres ont cru l’âme composée de molécules très-petites et indivisibles , qu’ils appellent atomes, et qui se seraient unies et accrochées ensemble. Il en est qui ont prétendu que sa substance était de l’air ou du feu. D’autres, ne pouvant s’imaginer une substance immatérielle, et ne voyant pas que l’âme fût un corps, ont affirmé qu’elle n’était pas une substance, mais la simple constitution de notre corps, ou l’ensemble des éléments primordiaux qui relient ensemble ses parties charnues. Mais tous ceux-là l’ont crue mortelle puisque, qu’elle soit corps ou l’organisation du corps, il est impossible qu’elle jouisse d’une durée sans terme. Quant à ceux qui ont vu dans sa substance un certain principe vital immatériel — ils avaient découvert que tout corps vivant possède un principe qui l’anime et le vivifie — ils ont cherché, conséquemment à leur opinion, à prouver que l’âme est immortelle, puisque la vie ne peut cesser de vivre. Quant à ce je ne sais quel cinquième corps, que quelques-uns ont ajouté aux quatre éléments si connus et dont ils ont voulu former l’âme, je ne pense pas que ce soit le cas d’en parler ici. En effet ou ils entendent comme nous, par corps ce qui est contenu dans l’espace local et est moindre dans la partie que dans le tout, et alors il faut les ranger parmi ceux qui croient l’âme matérielle ; ou ils donnent le nom de corps à toute substance, ou du moins à toute substance susceptible de changement, bien qu’ils sachent qu’elle n’occupe pas l’espace en longueur, en largeur et en hauteur, et alors c’est une dispute de mots dans laquelle nous n’avons pas à entrer.
A travers toutes ces opinions, quiconque voit que la nature de l’âme est une substance, et une substance immatérielle, c’est-à-dire qu’elle n’occupe pas une place plus ou moins grande dans l’espace par telle ou telle partie de son être: celui-là voit aussi nécessairement que l’erreur de ces philosophes ne vient pas de ce qu’ils n’ont pas la notion de l’âme, mais de ce qu’ils y ajoutent des choses sans lesquelles ils ne sauraient imaginer une nature quelconque. En effet tout ce qu’on pourra offrir à leur pensée en dehors des images des corps, ils le regarderont comme pure chimère. Que l’âme ne se cherche donc pas, comme si elle se faisait défaut à elle-même. Car quoi d’aussi présent à la connaissance que ce qui est présent à l’âme? Or, qu’y a-t-il d’aussi présent à l’âme que l’âme elle-même ? Et si l’on s’en tient à l’étymologie, que signifie le mot invention, sinon arriver à ce que l’on cherche (In venire, venir dedans ) ? C’est pourquoi on ne dit pas des choses qui se présentent naturellement à l’esprit qu’elles sont trouvées ou inventées, quoiqu’on puisse dire qu’elles sont connues; la raison en est que nous ne dirigeons pas notre attention à les chercher pour arriver à elles, c’est-à-dire pour les trouver. Donc de même que, quand l’oeil ou tout autre sens du corps cherche quelque chose, c’est l’âme elle-même qui cherche — (479) car c’est elle qui dirige le sens charnel et qui trouve, quand ce sens découvre l’objet de sa recherche — ainsi quand il s’agit de ce qu’elle doit connaître par elle-même et sans l’intervention des sens corporels, c’est elle qui arrive à l’objet qu’elle trouve : soit qu’elle le trouve dans une substance supérieure qui est Dieu, soit qu’elle le découvre dans d’autres parties de son être, comme quand elle porte un jugement sur les images des corps : car elle les trouve imprimées en elle-même par l’entremise du corps.
