CHAPITRE III.
DANS QUELLES DISPOSITIONS ON DOIT LE LIRE.
- Quiconque lira donc ce traité, doit avancer avec moi quand il se sentira ferme et assuré, chercher avec moi, quand il hésitera, revenir vers moi, quand il reconnaîtra son erreur, et me redresser moi-même, si je me trompe. Nous marcherons ainsi d’un pas égal dans les sentiers de la charité, et nous tendrons ensemble vers Celui dont il est dit : « Cherchez toujours sa face ( Ps., CIV, 4 ) ». Tel est l’accord pieux et sincère que je propose, en présence du Seigneur notre Dieu, à tous ceux qui daigneront lire mes ouvrages, et principalement ce traité où je défends l’unité des trois personnes divines, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. De tous nos mystères, il n’en est pas où l’erreur shit plus aisée et plus dangereuse, ni où le travail soit plus difficile. Mais aussi, plus que tout autre, il est fécond en fruits de salut. S’il arrive que quelque lecteur, parcourant ce traité, s’écrie: Voilà qui est mal dit, car je ne comprends pas; je le prie d’accuser l’imperfection de ma parole, et non la sincérité de ma foi. Au reste la phrase eût pu être, parfois, plus claire et plus précise; mais à qui est-il donné de se faire comprendre de tous, et en toutes sortes de sujets? Je prie donc mon censeur d’examiner s’il saisit mieux la pensée de ceux qui passent pour savants en ces matières; et s’ils sont plus intelligibles que moi, je consens à ce qu’il ferme mon livre, et même à ce qu’il le rejette. Car il doit de préférence donner son temps et son attention aux auteurs qu’il peut comprendre.
Toutefois, il y aurait injustice de sa part à dire que j’eusse mieux fait de me taire, parce que je n’ai pu m’exprimer avec la même précision et la même lucidité que ses auteurs favoris. Et en effet, tous ne lisent pas tous les ouvrages qui se publient. Il peut donc arriver que des esprits capables de me comprendre , lisent incidemment celui-ci, et ne puissent néanmoins se procurer d’autres traités plus simples et plus familiers. Ainsi il est utile que plusieurs auteurs écrivent sur le même sujet avec une certaine différence de style, mais en unité de foi, afin qu’un plus grand nombre de lecteurs s’éclairent et s’instruisent; car alors chacun peut choisir selon son goût et son inclination. Mais au contraire, si mon censeur a toujours été incapable de suivre sur ces matières une discussion sévère et approfondie, il fera beaucoup mieux de désirer et de hâter le développement de son intelligence, que de m’engager au silence par ses plaintes et ses critiques. (348) Peut-être aussi un lecteur dira-t-il : Je comprends cette proposition, mais elle me paraît fausse. Eh bien ! lui dirai-je à mon tour : Etablissez la vôtre, et renversez la mienne. S’il le fait en toute charité, et en toute sincérité, et s’il daigne, supposé que je vive encore, me communiquer ses observations, ce présent travail me deviendra très-fructueux. Bien plus, à défaut de communications avec moi, je consens de grand coeur à ce qu’il en fasse part à tous ceux qui voudront les entendre. Pour moi je continuerai à méditer la loi du Seigneur, si ce n’est le jour et la nuit, du moins pendant les quelques instants que je dérobe à mes occupations, et je confierai au papier mes pensées et mes réflexions, de peur que je ne les oublie entièrement. J’espère aussi que la miséricorde divine me fera persévérer dans une ferme adhésion aux vérités Qui me paraissent certaines, et que si je suis dans l’erreur, elle me le fera connaître par de secrètes inspirations, ou par son enseignement public, ou même par les bienveillants avis de mes frères. Tels sont mes voeux et mes désirs; et je les dépose ici dans le sein de Dieu qui peut et garder en moi le trésor de ses propres dons, et remplir à mon égard ses consolantes promesses.
- Je n’ignore point que quelques esprits moins intelligents ne saisiront pas toujours le véritable sens de mes paroles, et que même ils me prêteront des pensées que je n’aurai pas eues. Mais qui ne sait que je ne dois pas être responsable de leurs erreurs? Et en effet, est-ce ma faute s’ils ne peuvent me suivre, et s’ils s’égarent, lorsque je suis contraint d’avancer par des sentiers obscurs et ténébreux? C’est ainsi que nul ne fait retomber sur les écrivains sacrés les nombreuses erreurs des divers hérésiarques. Et cependant tous s’efforcent de défendre et de soutenir leurs systèmes par l’autorité de l’Ecriture. La charité, qui est la loi de Jésus-Christ, m’avertit et m’ordonne en toute douceur et suavité que si un lecteur me prête, en parcourant mes ouvrages, une proposition fausse qui n’est pas la mienne, et que cette proposition fausse en elle-même soit rejetée par l’un et approuvée par l’autre, je préfère la critique du premier aux louanges du second. Sans doute l’un me blâme injustement, puisque l’erreur n’est pas la mienne, et néanmoins en tant qu’erronée la proposition est blâmable; mais l’approbation de l’autre n’est pas moins injuste, puisqu’il me loue d’avoir enseigné ce que condamne la vérité; et qu’il applaudit à une proposition qu’improuve également cette même vérité. Et maintenant, au nom du Seigneur, j’aborde mon sujet.