CHAPITRE IV.
TOUT ACCIDENT SUPPOSE DANS LE SUJET QUELQUE CHANGEMENT.
- On appelle accident tout ce qu’un sujet peut perdre par changement, ou par altération. Quelques accidents, il est vrai, sont inséparables du sujet; c’est pourquoi les Grecs les nomment intrinsèques. Ainsi la couleur noire est intrinsèque à la plume du corbeau. Toutefois celle-ci cesse d’être noire du moment qu’elle n’est plus une plume de corbeau. C’est que la matière elle-même est sujette au changement; et ainsi dans l’exemple que j’ai cité, le corbeau ou la plume, ou même tous deux éprouvent tantôt un changement partiel et tantôt une transformation entière, en sorte que ni l’un ni l’autre ne retiennent plus la couleur noire. D’autres accidents sont dits séparables, quoiqu’en réalité ils ne soient dans le sujet qu’un simple changement, ou une pure altération. Ainsi les cheveux de l’homme sont (425) naturellement noirs; mais parce qu’ils peuvent blanchir tant qu’ils adhèrent à la tête, on dit qu’en eux la noirceur est un accident séparable. Cependant avec un peu de réflexion, il est facile de voir que dans ce cas rien n’émigre au dehors, et que le noir de nos cheveux ne se retire point, je ne sais où, pour faire place à la blancheur. Ici les cheveux n’éprouvent qu’un changement de couleur.
Mais il n’y a en Dieu aucun accident, parce qu’en lui il n’y a rien de muable, rien d’amissible. On peut aussi nommer accident l’intensité, ou la diminution d’une qualité que le sujet ne saurait perdre. Ainsi notre âme est immortelle, en sorte qu’elle vivra tant qu’elle existera; mais parce qu’elle existera toujours, elle vivra toujours. Néanmoins le développement ou l’affaiblissement de la raison fait que cette âme, sans cesser de vivre, reçoit une communication plus ou moins abondante de la vie. C’est le phénomène de la folie qui nous ôte le bon sens, et nous laisse la vie. Mais on ne peut rien concevoir de semblable en Dieu, parce qu’il est souverainement immuable.
