11.
Mais enfin, quelle est donc la malice de cette jalousie qui ne saurait être que malveillante? Ne cherchons pas d’autres témoins, car il nous suffit d’un seul, saint Cyprien lui-même, à qui le Seigneur s’est plu à révéler les invectives les plus éloquentes et les préceptes les plus salutaires sur l’envie et la jalousie. Lisons donc la lettre de ce saint martyr sur ce double penchant; comprenons quel crime c’est de porter envie à ceux qui sont meilleurs que nous, et n’oublions pas que ce triste défaut n’a d’autre principe que le démon lui-même. « Jalouser ce qui vous semble bon, et porter envie à ceux qui sont meilleurs que vous, c’est là un crime que quelques-uns parmi vous, frères bien-aimés, regardent comme léger et de peu d’importance ». Cherchant ensuite la source et l’origine de ce défaut : « C’est par ce vice», dit-il, «que dès les premiers jours du monde le démon s’est perdu et en a perdu un grand nombre avec lui ». Un peu plus loin il ajoute : « Quel mal n’est donc pas, mes frères, ce crime qui a fait tomber l’ange lui-même, qui a précipité dans l’abîme les puissances célestes et qui a séduit le séducteur lui-même? Depuis cette époque la jalousie va croissant sur la terre, multipliant ses victimes, tristes esclaves du maître de la perdition, tristes imitateurs du premier jaloux, le démon; de là cette parole : Par l’envie du démon la mort est entrée dans le monde, et tous ceux qui lui appartiennent se font constamment ses imitateurs (Sag., 24,25) ». Ces paroles de Cyprien, empruntées à celle de ses lettres qui est la plus connue, sont aussi pleines de vérité que d’énergie. A lui plus qu’à tout autre il appartenait de formuler sur l’envie et la jalousie les leçons et les avertissements les plus graves, car dans l’abondance de sa charité il avait toujours su soustraire son coeur aux cruelles atteintes de ce mal. Sous l’influence de cette charité, il se montra toujours rempli de bienveillance pour ceux de ses collègues qui ne partageaient pas ses opinions au sujet du baptême; il ne connut jamais les dissensions malveillantes, se tint en garde contre les tentations humaines, et par sa persévérance dans la charité il mérita que Dieu le comblât dans la suite de ses grâces et de ses révélations (Philipp., III, 15). Il resta donc indissolublement attaché à l’unité, et pouvait hautement s’écrier : « Ne jugeant personne et nous abstenant de séparer de notre communion celui qui ne partagerait point notre opinion. En effet, personne d’entre nous ne s’est constitué l’évêque des évêques, et personne n’a voulu recourir à des menaces tyranniques pour réduire ses collègues à l’obéissance (Concile de Carthage.). Voici, du reste, comment il terminait son épître: « Tels sont, frère bien-aimé, les conseils que dans ma bassesse j’ai cru devoir vous adresser; je ne prescris rien, je ne préjuge rien, car chaque évêque a le droit de faire ce qui lui paraît le plus convenable, il est parfaitement le maître de son libre arbitre. Dans la mesure de ce qui nous est possible, et pour ménager les hérétiques, nous ne discutons jamais avec nos collègues et nous conservons entre nous la concorde chrétienne et la paix du Seigneur. Nous avons toujours devant les yeux ces paroles de l’Apôtre : Si quelqu’un aime à contester; pour nous, ce n’est point là notre coutume ni celle de l’Eglise de Dieu (I Cor., XI, 16.). Nous conservons donc avec patience et avec douceur la charité du coeur, l’honneur de notre collège, le lien de la foi et la concorde du sacerdoce. C’est dans ce but, malgré notre médiocrité et avec l’aide et le bon plaisir de Dieu, que nous avons composé ce petit opuscule sur le Bien de la Patience et nous vous l’adressons comme gage de notre affection mutuelle (Lettre LXXIII, à Jubaiainus)