XXX.
Vous direz peut-être que personne ne peut vivre sous la loi et faire un mauvais usage de la loi; car, du moment qu'il la viole, il cesse de vivre sous son empire. Je soutiens, au contraire, que l'on peut être sous la loi et faire de la loi un mauvais usage. Je n'en veux également d'autres preuves que vos propres aveux. Vous avouez, je pense, que ce même saint Paul a emprunté au livre des psaumes un passage où il condamne ceux qui, tout en se glorifiant d'appartenir à la loi, vivaient contre la loi. « Selon qu'il est écrit : Il n'y a pas un juste, il m'y en a pas un seul. Il n'y a point d'homme qui ait de l'intelligence, il n'y en a point qui cherche Dieu. Ils se sont tous détournés du droit chemin, ils sont tous devenus inutiles, il n'y en a point qui fasse le bien, il n'y en a pas un seul. Leur gosier est un sépulcre ouvert; ils se sont servis de leur langue pour tromper avec adresse; ils ont sous leur langue un venin d'aspic. Leur bouche est remplie de malédiction et d'amertume, leurs pieds sont légers pour répandre le sang. Le brisement et le malheur sont dans toutes leurs voies. Ils ne connaissent point la voie de la paix; ils n'ont point la crainte de Dieu devant les yeux ». Et de peur que ceux auxquels il s'adressait ne crussent qu'il s'agissait là des païens exclusivement, l'Apôtre ajoute aussitôt : « Or, nous savons que toutes les paroles de la loi s'adressent à ceux qui sont sous la loi, en sorte que toute bouche doit être fermée et tout le monde soumis à Dieu1 ». Il écrit également dans un autre passage : « Que dirons-nous donc? La loi est-elle péché? Nullement. Mais je n'ai connu le péché que par la loi, car je n'aurais point connu la a concupiscence si la loi n'avait dit : Vous n'aurez point de mauvais désirs. Or, 1e péché ayant pris occasion de s'irriter par les préceptes, a produit en moi toute sorte de mauvais désirs ». Un peu après il ajoute : « Le péché, ayant pris occasion du commandement, m'a trompé et tué par le à commandement même. Ainsi la loi est véritablement sainte, et le commandement est saint, juste et bon. Ce qui était bon en soi, m'a-t-il donc causé la mort? Nullement ; mais c'est le péché qui, m'ayant donné la mort par une chose qui était bonne, a fait paraître ce qu'il était2 ». Vous voyez que tout en louant la loi il blâme ceux qui vivent sous la loi et leur reproche de faire de ce qui est bon un mauvais usage pour le mal. Ailleurs, parlant d'une certaine science de la loi, le même Apôtre avoue que cette science est possédée par lui et par d'autres; mais en même temps il déclare que sans la charité cette science est inutile et nuisible. « Quant aux viandes immolées aux idoles, nous n'ignorons pas que nous avons tous sur ce point assez de science; mais la science enfle, tandis que la charité édifie3 ». Pourtant cette science avait pour objet la loi de Dieu, ce qui n'empêche pas qu'elle enfle et nuise quand elle n'est pas fondée sur la charité. S'agit-il du sacrifice unique du corps et du sang de Notre-Seigneur immolé pour notre salut? Jésus-Christ a dit : « Si quelqu'un ne mange ma chair et ne boit mon sang, il n'aura pas la vie en lui4 »; et cependant voici que l'Apôtre déclare que ce sacrement devient pernicieux pour ceux qui en usent mal : « Quiconque mange le pain et boit le calice du Seigneur indignement, se rend coupable du corps et du sang du Sauveur5 ».