IV.
Comprenez-vous maintenant que c'est contre saint Cyprien lui-même que vous vous éleviez si énergiquement dans notre conférence; que c'est contre lui que vous vous mettiez en opposition, quand vous prétendiez obstinément que ces paroles du Sauveur : «Le champ, c'est ce monde1 », désignaient, non pas l'Eglise, mais le monde en dehors de l'Eglise, et que ce n'est que dans ce sens que ce champ peut renfermer de la zizanie? Vous affirmiez que la zizanie ne peut pas se trouver dans l'Eglise. Bien souvent nous vous avons allégué ce passage de saint Cyprien; jamais sans doute vous n'avez osé le contredire en face, mais cependant jamais vous n'avez voulu l'accepter. Maintenant, du moins, secouez votre sommeil, écoutez, comprenez : « Quoiqu'il paraisse y avoir de la zizanie dans l'Eglise, rien ne doit empêcher notre foi ou notre charité; et surtout parce que nous voyons de la zizanie dans l'Eglise, gardons-nous de nous séparer de l'Eglise ». Pourquoi donc vous séparez-vous de l'unité de cette Eglise pour former un schisme criminel; pourquoi persévérez-vous dans cette séparation avec une présomption criminellement hérétique? Vous connaissez la doctrine de saint Cyprien, ou adoptez-la ou réfutez-la. Il avoue franchement qu'il y a de la zizanie dans l'Eglise, et cependant il défend de se séparer de l'Eglise ; ne comprenez-vous pas que ce seul mot réduit à néant toutes les calomnies que vous entassez dans vos livres? Est-ce que, poussant les choses à l'extrémité, comme vous le faites d'ordinaire, vous n'en êtes pas venus jusqu'au point de soutenir que les chrétiens ont pu périr sous le coup des péchés d'autrui, lors même qu'ils auraient ignoré que quelqu'un eût péché ? Vous alléguez comme preuve ce passage de l'Ecriture, où il est dit que le peuple tout entier fut puni pour le crime d'un seul homme qui s'était secrètement approprié une partie du butin réservé au Seigneur2. Vous ignorez donc que ces châtiments corporels, qui allaient quelquefois jusqu'à la mort, avaient pour but d'imprimer au peuple une terreur salutaire; vous oubliez surtout qu'au point de vue de la vie future, les péchés d'autrui ne pouvaient nuire à qui que ce fût, surtout à ceux qui n'en avaient aucune connaissance. Cependant, c'est là ce que vous affirmez : vous osez dire et croire que des hommes peuvent périr de la mort éternelle pour des péchés d'autrui , même quand ils leur sont inconnus ! Vous ne craignez donc pas de vous mettre en contradiction avec. vos collègues, qui, dans la conférence où vous gardiez le plus profond silence, parce que, sans doute, vous n'osiez pas avouer votre opinion, ont essayé, après mille subterfuges, de se justifier en disant que les mauvais poissons ont été retenus par les pêcheurs dans les filets du Seigneur, uniquement parce que leur présence était ignorée, car s'ils l'avaient connue, ils auraient péri par suite de la contagion? Comment donc n'avez-vous pas pensé à la paille renfermée dans l'aire du père de famille, c'est-à-dire dans l'Eglise? Comme nous soutenions que ce mélange devait être toléré jusqu'au moment de la purification, Emérite, pressé de toute part, nia cette conclusion et s'écria : « Vous ne lisez pas l'aire3». Ses partisans l'avertirent secrètement de sa méprise ; de notre côté, nous appuyant sur les textes les plus explicites de l'Evangile, nous rappelâmes la prophétie qui annonce que le Seigneur viendra portant un van à la main, qu'il purifiera son aire, entassera le froment dans ses greniers et consumera la paille dans un feu inextinguible4. En présence de ces témoignages, Emérite rétracta l'erreur qui lui avait fait nier que cette parabole fût écrite; mais il n'en persévéra pas moins dans la perversité hérétique et schismatique, en vertu de laquelle il niait que les pécheurs dussent être supportés par les bons, dans l'unité de l'Eglise. Il ajouta aussitôt que la paille désignait les pécheurs occultes, confirmant ainsi de toute son autorité l'un des points principaux de la cause que vous soutenez, à savoir que les bons ne sauraient être souillés parles crimes des pécheurs occultes. Voilà que, grâce à l'opposition que vous lui faites, l'un de vos plus illustres coryphées perd entièrement le fruit de ses travaux. Pour assurer le salut des justes, il soutient que les pécheurs, qui se trouvent dans l'Eglise, sont absolument inconnus aux bons, car s'ils étaient connus et tolérés, les justes eux-mêmes périraient nécessairement. Vous allez plus loin et vous affirmez que le contact des pécheurs occultes suffit à lui seul pour faire périr les bons. Vous ne craignez donc pas cette multitude de pécheurs, de criminels et d'impies qui se cachent dans vos rangs depuis l'établissement de votre secte, et qui, sans que vous le sachiez, ont dû vous faire périr, vous et tous les vôtres, si la thèse que vous soutenez est véritable? Maintenant encore vous ne tremblez pas que quelqu'un des vôtres ne vienne à pécher à votre insu et ne vous perde au moment où vous formulez de semblables opinions ? Serait-ce,par hasard, que dans la conviction où vous êtes que vos oeuvres seules suffisent pour entraîner votre perte, vous n'avez plus à craindre de périr pour les fautes de pécheurs que vous ne connaissez pas?