6.
Repoussons donc, en leur fermant nos oreilles et nos esprits, ceux qui prétendent qu'une fois pourvus du libre arbitre, nous ne devons plus même prier Dieu pour qu'il nous aide à ne point pécher. Moins profondes étaient même les ténèbres qui aveuglaient l'orgueilleux Pharisien ; il se trompait en un point, lorsqu'il se jugeait dispensé d'ajouter à ses vertus acquises, lorsqu'il se croyait en possession d'une justice parfaite ; mais, du moins, il rendait grâces à Dieu de ce qu'il n'était pas comme le reste des hommes, injustes, selon lui, ravisseurs, adultères, et spécialement comme ce publicain ; de ce qu'il jeûnait deux fois par semaine ; de ce qu'il donnait la dîme de tout ce qu'il possédait ; ainsi, il ne demandait au Seigneur aucune augmentation de justice, mais il remerciait Dieu, pourtant, des vertus qu'il avait déjà, avouant ainsi qu'il avait tout reçu de lui. Et néanmoins il fut condamné, pour deux raisons: d'abord, parce qu'il ne demandait plus même les saints aliments qui entretiennent la justice, comme s'il en eût été comblé ; ensuite, parce qu'il était heureux de se préférer avec insulte à ce publicain qui en avait faim et soif1. — Quel sera donc le sort des hommes qui, tout en reconnaissant n'avoir pas la justice, ou du moins n'en avoir pas la plénitude, ont cependant la présomption de croire qu'ils devront l'acquérir par eux-mêmes et non pas l'implorer de leur Créateur gui en est le trésor et la source ?
En ce point, cependant, nous ne devons pas nous contenter de voeux et de prières, jusqu'à ne pas y ajouter aussi le concours réel et l'effort de notre bonne volonté. Car Dieu est appelé « notre secours2 » ; or, on ne peut être secouru, si l'on ne fait pas de soi-même quelque effort. Dieu n'opère pas notre salut en nous, comme il opérerait sur des pierres insensibles ou sur ces êtres que la nature a faits sans raison et sans volonté. — Pourquoi, d'ailleurs, Dieu aide-t-il l'un et n'aide-t-il pas l'autre ? pourquoi secourt-il celui-ci davantage, et celui-là moins, l'un de cette manière et l'autre d'une façon différente ? Dieu, en ceci, garde sa souveraine et parfaite puissance, comme aussi la raison secrète de sa souveraine équité.