20.
Au reste, dans cet éloge que l'Evangile a fait de Zacharie et d'Elisabeth, est-il un seul trait qui ne soit pas compris dans le témoignage que se rend à lui-même l'apôtre saint Paul, parlant de l'état même qui précéda sa conversion à la foi de Jésus-Christ ? Il affirme qu'« il a vécu sans reproche selon la justice « que commandait la loi » ; c'est précisément ce qu'on lit aussi sur ce couple pieux : « Tous deux étaient justes devant Dieu et marchaient sans reproche dans la voie de tous les commandements et ordonnances du Seigneur1 ». Comme, d'ailleurs, toute cette justice qui résidait en eux n'était pas un faux-semblant de vertu pratiquée en faveur des hommes, l'Ecriture a dit qu'ils étaient justes devant Dieu. Ce qui est écrit de Zacharie et de son épouse, qu' « ils observaient tous les préceptes et ordonnances du Seigneur », l'Apôtre l'a dit en abrégé par le seul mot « la loi ». Car, avant l'Evangile, il n'y eut point deux lois, l'une pour saint Paul, l'autre pour ces deux époux; mais une seule et même loi, donnée, dit l'Ecriture, par Moïse à leurs pères, loi d'après laquelle même Zacharie était prêtre et sacrifiait à son tour. Et cependant l'Apôtre, qui avait fait preuve d'une justice semblable, continue et déclare : « Ce qui m'était un gain, je l'ai considéré comme un dommage, à cause de Jésus-Christ; du reste, je regarde, d'ailleurs, tout au monde comme dommageable, à cause de l'éminente science de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; pour lui, je n'ai pas cru seulement que tout me fût une ruine, mais j'ai même regardé toutes choses comme ordure et fumier, afin de gagner Jésus-Christ et d'être trouvé en lui n'ayant point cette mienne justice qui vient de la loi, mais bien celle qui vient par la foi en Jésus-Christ, celle qui dérive de Dieu, la justice dans la foi, celle qui doit me le faire connaître ainsi que la vertu de sa résurrection et la participation à sa passion, pour que je sois conformé à l'image de sa mort, et que peut-être enfin de quelque manière j'arrive à la résurrection des morts ». Ainsi, tant s'en faut que malgré leur éloge au saint Evangile, Zacharie et Elisabeth aient eu, selon nous, cette perfection de justice qui exclut tout péché, que nous n'admettons pas même dans le grand Apôtre une perfection aussi absolue, aussi élevée à la hauteur de cette règle sublime de justice. Non, l'Apôtre n'a point été ainsi parfait, non-seulement dans cette justice légale qu'il posséda aussi bien que ces deux personnages, et qu'il regarde comme ruine et ordure en comparaison de la justice bien autrement éminente qui se trouve dans la foi en Jésus-Christ ; mais il n'a pas même eu cette perfection dans la pratique même du saint Evangile, où il mérita pourtant la principauté de son sublime apostolat. Voilà une assertion que je n'oserais me permettre, si je ne pensais qu'il soit impie de ne pas ici l'en croire lui-même. Car voici comme il poursuit et conclut dans le passage précité : « Ce n'est pas que j'aie encore reçu le prix ni que je sois parfait ; je le poursuis afin de l'atteindre peut-être, comme moi-même j'ai été atteint et conquis par Jésus-Christ. Non, mes frères, je ne pense pas l'avoir atteint encore ; je n'ai qu'une pensée : oublier ce qui est en arrière, m'étendre vers ce qui est en avant, poursuivre avec effort, jusqu'à cette palme de la vocation suprême de Dieu en Jésus-Christ ». Voilà comme lui-même avoue qu'il n'a pas encore reçu le prix, qu'il n'est pas encore parfait de cette plénitude de justice qu'il brûle d'acquérir en Jésus-Christ ; mais qu'il la poursuit de ses désirs, oubliant le chemin déjà fait, pour s'étendre vers la route à parcourir. Ainsi comprenons-nous que c'est de lui-même encore qu'il a dit : « Bien que chez nous l'homme extérieur se corrompe, l'homme intérieur, au contraire, se renouvelle de jour en jour2» ; parfait voyageur toutefois, bien qu'il ne fût point arrivé encore, par l'achèvement de son chemin, au terme de sa course. Au reste, il veut entraîner dans son essor des marcheurs semblables à lui-même et qui l'accompagneront sur la route; c'est pour eux qu'il ajoute ces paroles : « Nous donc, hommes parfaits, qui que nous soyons, ayons ce même sentiment. Que si vous en avez d'autres, Dieu vous révélera celui-ci encore ; toutefois, marchons sur le chemin où nous sommes arrivés déjà3. » Cette marche, d'ailleurs, ne s'accomplit pas avec les pieds de notre corps, mais avec les sentiments de nos âmes et les moeurs de notre vie; c'est ainsi que nous pourrons être un jour en possession parfaite de la justice, après avoir cheminé par la foi sans dévier d'un pas, avançant de jour en jour, progressant dans la rénovation de nous-mêmes, déjà parfaits voyageurs, enfin, dans les sentiers de cette même justice.