50.
Le Seigneur aurait pu faire à ses croyants cette grâce aussi de ne point subir l'épreuve même de la mort corporelle; mais s'il l'eût accordée, il aurait augmenté en quelque chose le bonheur de notre chair, au détriment de la vigueur de la foi. Les hommes, en effet, redoutent tellement cette mort corporelle, qu'ils proclameraient les chrétiens bienheureux pour une seule et unique raison c'est que, pour eux, la mort serait absolument impossible. Par suite, la vie de bonheur qui doit suivre cette mort n'aurait plus le don d'attirer les hommes à la grâce de Jésus-Christ; loin de mépriser la mort même par vertu, on viendrait à Jésus uniquement pour s'épargner l'ennui, de la mort physique, et par excès de délicate mollesse on croirait en lui. Le Seigneur a fait plus large la part de la grâce, il a donné mieux, évidemment, à ses chers fidèles. Où serait la grandeur d'âme à croire qu'on ne mourra pas soi-même, si l'on voyait, de fait, ne point mourir ceux qui croiraient à l'Evangile ? Combien il est plus grand, plus noble, plus louable de croire avec une telle fermeté, que, certain de mourir, on espère cependant vivre éternellement ! Ajoutez qu'à la fin des temps une grâce de ce genre sera donnée à quelques hommes; ce sera de ne point sentir cette mort1, tant sera prompt et soudain leur changement d'état, et en compagnie des saints qui ressusciteront alors, ils seront enlevés dans les nues au-devant de Jésus-Christ à travers les airs, pour vivre ainsi à jamais avec le Seigneurs. Et pour eux un tel sort se comprend, puisqu'ils ne devront point laisser de postérité qui s'attacherait à la foi en vertu de ce spectacle, point de descendants qui aimeraient ce qu'ils verraient de leurs yeux, au lieu d'espérer ce qu'ils ne verraient pas encore : triste espèce de foi, foi débile et sans vigueur, indigne même absolument de son nom, puisque la foi a été définie en ces termes: « La foi est et le trésor de ceux qui espèrent, la conviction de choses qu'on ne voit pas encore2 ». — Aussi dans cette même Épître aux Hébreux, où nous lisons cette définition, après avoir énuméré de suite un certain nombre de personnages qui ont plu à Dieu par leur foi, le texte sacré ajoute : « Et selon cette foi tous ces personnages sont morts, sans avoir encore reçu l'objet des promesses, mais l'ayant seulement aperçu et le saluant de loin, et avouant qu'eux-mêmes étaient comme des pèlerins et des voyageurs sur la terre ». Et, après avoir fait bientôt l'éloge de cette foi, il conclut : « Et tous, quoique ayant reçu par la foi le témoignage de leur justification, n'ont point vu s'accomplir les promesses de Dieu; ils n'ont qu'entrevu pour nous un sort meilleur et n'ont pas dû arriver sans nous à l'entière perfection3 ». Ce mérite de la foi rie serait plus; ou plutôt, comme je l'ai dit, la foi même n'existerait aucunement si les hommes l'embrassaient dans la perspective de récompenses visibles, je veux dire, si le salaire de l'immortalité était accordé aux fidèles dès cette vie même. 4
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Voir le livre II des Rétractations, ch. 33, et l'épit. 193 adressée à Mercator. ↩
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I Thess. IV, 16. ↩
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Saint Augustin a traduit : fides est substantia sperantium, au lieu de sperandorum. Le verbe grec epidzomai de l'original, est, en effet, un verbe moyen, de sorte que le participe epidzomenon peut s'entendre activement ou passivement. ↩
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Héb. XI, I, 13, 39, 40. ↩