CHAPITRE XVIII. NE DISONS PAS QUE NOUS SOMMES SANS PÉCHÉ.
39e Raisonnement.
On nous objecte, dit l'auteur, ces autres paroles : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons a nous-mêmes et la vérité n'est point en nous1 ». A la clarté de ce passage, il essaye d'opposer d'autres textes en apparence contraires. Il cite, ce même saint Jean écrivant dans son Epître : « Je vous le dis, mes frères, ne péchez pas. Tout homme qui est né de Dieu ne commet pas le péché, parce que la semence divine demeure en lui et qu'elle ne saurait pécher2 ». Plus loin, ce même Apôtre ajoute : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas, parce que la génération de Dieu le conserve, et que le méchant ne saurait le toucher3 »; et encore, en parlant du Sauveur : « Il apparut afin d'enlever le péché. Quiconque demeure en lui ne pèche pas. Tout homme qui pèche ne le voit pas et ne le connaît pas. Mes très-chers, nous sommes les enfants de Dieu, et nous n'avons pas encore vu ce que nous serons un jour. Nous savons que lorsque Dieu nous apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est, et quiconque nourrit cette espérance, se sanctifie, comme Dieu lui-même est saint4 ».
Tous ces passages sont parfaitement exacts, ce qui ne détruit pas la vérité du texte qu'il rapporte, sans le réfuter: « Si nous disons a que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous ». Par conséquent, si nous nous considérons en tant que nous sommes nés de Dieu, en tant que nous demeurons en Celui qui nous a apparu pour détruire le péché, c'est-à-dire en Jésus-Christ, sous ce premier rapport nous ne péchons pas, et l'homme intérieur se renouvelle en nous de jour en jour5. Mais en tant que nous sommes nés de cet homme par qui le péché est entré dans le monde et la mort par le péché, et qu'ainsi la mort est entrée dans tous les hommes6 ; à ce point de vue nous ne sommes pas sans péché; car nous n'avons point dépouillé notre faiblesse native, jusqu'à ce que soit pleinement réalisée cette rénovation intérieure en vertu de laquelle Dieu devient notre Père et nous sommes parfaitement guéris de notre infirmité naturelle, et du péché qui en était la suite. Les suites de ce péché se perpétuent dans l'homme intérieur, quoiqu'elles aillent toujours s'affaiblissant dans tous ceux qui marchent généreusement dans la voie du bien ; malgré ces progrès, « si nous disons que nous sommes sans péché nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous ».
Tout homme qui pèche n'a pas vu Dieu, « et ne l'a pas connu » ; comment entendre ces paroles, puisque nous ne saurions avoir en cette vie la vue et la connaissance que nous aurons , lorsque nous contemplerons Dieu face à face? Nous ne pouvons aspirer ici-bas qu'à la vue et à la connaissance que nous donne la foi ; or, malgré cette foi, combien n'est-il pas d'hommes qui pèchent, et en particulier les apostats qui cependant ont tous cru en Jésus-Christ et qui tous ont eu cette vue et cette connaissance qui viennent de la foi, sans qu'on puisse dire d'aucun d'eux qu'il n'a ni vu ni connu Jésus-Christ? »
Or, il me semble pouvoir ainsi formuler ma pensée : la rénovation marchant à la perfection voit et connaît; l'infirmité que nous avons à détruire, ne voit ni ne connaît, et comme cette infirmité originelle a laissé en nous des traces profondes : « si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est a point en nous ». Par la grâce de la rénovation nous sommes les enfants de Dieu; mais à cause des restes de .notre infirmité native, « nous n'avons pas vu encore ce que nous serons; nous savons que lorsque Dieu nous aura apparu, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons comme il est en lui-même ». Alors seulement il n'y aura plus de péché, parce qu'il ne restera aucune infirmité ni intérieure ni extérieure. « Quiconque a cette espérance en Dieu, se sanctifie, comme Dieu lui-même est saint ». Il se sanctifie, non point par ses propres forces, mais en croyant et en invoquant celui qui sanctifie ses saints. Quand cette sanctification, qui va croissant en nous de jour en jour, sera parvenue à sa perfection, elle détruira toutes les suites de notre infirmité.