59.
Maintenant notre adversaire est libre de penser ce qu'il voudra de cette concupiscence de la chair qui commande en tyran aux voluptueux, exige des hommes chastes une répression continuelle, et soulève un sentiment de honte dans le coeur des uns et des autres. Toutefois, il me semble remarquer que cette concupiscence lui plaît beau. coup; eh bien ! s'il rougit de la nommer, qu'il n'hésite pas à la combler d'éloges; qu'il continue, comme il l'a fait précédemment, de l'appeler la vigueur des membres, la puissance des membres, sans craindre de pousser l'impudence jusqu'à faire rougir toutes les âmes chastes. S'il n'est point accessible à la honte, qu'il dise que, si le péché n'avait point été commis, cette vigueur aurait pu s'épanouir dans tout l'éclat de la fleur; qu'aucun voile n'aurait été nécessaire pour cacher des mouvements dont personne n'aurait eu à rougir; enfin, que cette vigueur aurait toujours pu s'exercer librement, sans être soumise à aucune répression, sans se voir privée un seul instant de la félicité qui lui était réservée. Gardons-nous bien de supposer que cette félicité ait pu rester un seul instant sans objet, ou éprouver dans son corps ou dans son esprit des sensations pénibles. Dès lors, en admettant que le mouvement de la passion eût prévenu la volonté de l'homme, la volonté l'aurait immédiatement suivie; l'épouse, dont aucune absence n'était possible, fût-elle libre ou embarrassée, se serait. à l'instant présentée ; et si la génération ne devait (745) point se produire, du moins la volupté aurait obtenu une satisfaction naturelle et louable. A quelque prix que ce fût, jamais cette bonne concupiscence n'aurait été frustrée dans ses désirs ; seulement les époux n'auraient point eu recours à un usage contraire à la nature, et auraient trouvé dans l'ordre établi toutes les satisfactions désirables et possibles. Toutefois, qu'arriverait-il si cet usage contre nature venait à plaire, si cette louable passion aspirait à ce genre de volupté ? La suivrait-on, parce qu'elle paraîtrait douce ; la repousserait-on, parce qu'elle paraîtrait honteuse? Si on la suivait; que deviendraient les plus simples notions de l'honnêteté? Si on la repoussait, que deviendrait la paix inhérente à une telle félicité? Rougissant peut-être de semblables conséquences, notre adversaire soutiendra sans doute que, en vertu de cette heureuse paix et de l'ordre établi en toutes choses, jamais la concupiscence de la chair n'aurait prévenu la volonté humaine; avant de s'émouvoir, elle aurait attendu les ordres de cette volonté ; celle-ci à son tour ne se serait prononcée que quand la génération serait devenue un besoin. De cette manière tout se serait passé dans un ordre parfait, avec un résultat certain, et sans aucun inconvénient possible, car la chair et la passion n'auraient été que des servantes dociles, toutes prêtes à obéir au premier signe de commandement. Or, si c'est là sa réponse, qu'il constate du moins que les choses se passent tout autrement aujourd'hui. Et s'il ne veut pas avouer que la passion soit un vice, qu'il nous concède au moins que la concupiscence de la chair a été viciée par la désobéissance de l'homme, en sorte qu'elle ne se meut aujourd'hui que d'une manière désobéissante et désordonnée, quand au contraire ses mouvements auraient dû se produire dans l'obéissance et l'ordre le plus parfaits. Même dans les époux les plus chastes, cette concupiscence est loin de se montrer docile à la volonté, car elle s'émeut sans aucune nécessité; et quand elle est nécessaire, elle se montre tantôt plus lente et tantôt plus empressée. C'est donc de cette désobéissance de la chair qu'ont été frappés nos premiers parents en punition de leur propre révolte, c'est d'elle aussi que nous héritons par voie de naissance et d'origine. S'ils ont rougi de leurs membres, tandis qu'auparavant ils pouvaient s'en glorifier, n'est-ce point parce que la concupiscence, jusque-là docile et soumise, leur fit ressentir des mouvements désordonnés?