9.
Si c'est le mal que vous combattez et poursuivez en vous-même, si c'est du mal que vous triomphez quand vous êtes vainqueur, le mieux pour vous serait de ne pas user de ce mal dont font un bon usage ceux en qui vous prétendez que c'est un bien; prétention mensongère et trompeuse. Vous ne direz pas, je pense, que dans les époux la passion est un bien, tandis qu'elle est un mal dans les saints, dans les vierges et dans les continents. Vous avez dit, et nous en prenons acte : « Celui qui modère la concupiscence naturelle fait un bon usage de ce qui est bien, celui qui ne la modère pas, use mal de ce qui est bien; enfin celui qui, par amour pour la virginité, refuse d'en user même avec modération, se place par le fait même dans une condition plus parfaite; plein de confiance dans son salut et dans sa force il méprise les remèdes afin de soutenir de glorieux combats ». Ces paroles énoncent clairement que la concupiscence de la chair se rencontre dans tous les hommes, dans les époux comme dans les vierges. Ce dont les époux font un bon usage, et ce dont se privent les vierges, vous l'appelez un bien, et moi je l'appelle un mal; mais toujours est-il que pour les vierges et pour les continents la concupiscence de la chair revêt clairement les caractères du mal, puisque vous avouez qu'ils soutiennent contre elle de « glorieux combats »; ce dont ils refusent l'usage, par amour pour la perfection, ce. n'est donc pas un bien, mais un mal. Toute la difficulté, si toutefois il peut y en avoir, est donc de décider si cette concupiscence de la chair est un bien ou un mal, dans ceux qui ont fait voeu de virginité, Quelle que soit la solution, on pourra l'appliquer aux époux, car ceux-ci ne font que bien user de ce dont les vierges n'usent pas. Rassemblez donc toutes les forces de votre coeur perspicace et de votre front indépendant, et, si vous le pouvez, osez dire que l'on doit regarder comme un bien ce à quoi la « légion des Apôtres a toujours répugné », selon l'expression que j'ai déjà relevée dans votre livre précédent, et dans laquelle vous m'accusiez de dire que la passion est douée de forces telles, que la légion même des Apôtres n'avait pu lui résister». Vous ne comprenez donc pas que c'est plaider en faveur de ma cause que de soutenir que la légion, non-seulement des saints, mais même des Apôtres, a résisté courageusement à ce mal qu'il vous plaît de nommer un bien? Qui croirait que ce mal eut le glorieux privilège de voir son défenseur applaudir à tous ceux qui lui font une guerre acharnée? Ce défenseur, disons-le, ne se rencontre ni parmi les anciens, ni parmi les Apôtres, ni parmi les saints; il ne pouvait se trouver que parmi ces nouveaux hérétiques; eux seuls, joignant l'absurdité à l'audace, pouvaient se poser en même temps comme les ennemis et comme les défenseurs de la concupiscence de la chair; eux seuls, tout en se montrant fidèles aux principes de l'hérésie pélagienne, pouvaient tenter de louer sincèrement un mal qui les tue s'il triomphe, et de combattre avec non moins de sincérité un bien qui cesse de l'être quand on cesse de le louer.
