15.
Quand la grâce est conférée à l'homme, ce n'est donc pas uniquement « pour lui aider à atteindre la perfection », et quand vous délimitez ainsi son but, n'est-il pas évident que vous voulez faire entendre que la grâce n'est point nécessaire pour commencer le bien, mais seulement pour lui donner toute sa perfection ? N'oublions pas ce que dit l'Apôtre, que celui qui a commencé le bien en nous le perfectionnera jusqu'au jour de Jésus-Christ1. Après un témoignage aussi formel, vous osez encore nous dire que ce n'est pas dans le Seigneur, mais dans son libre arbitre, que l'homme peut se glorifier, « quand son coeur généreux lui a inspiré une louable entreprise »; qu'ainsi l'homme commence à donner, afin qu'il puisse recevoir, d'où il suit nécessairement que la grâce n'est plus une grâce2, puisqu'elle n'est point gratuite. Vous proclamez « bonne la nature humaine qui mérite le secours d'une telle grâce ». J'applaudirais à cette parole, si vous n'aviez pour but que de remercier Dieu de nous avoir donné une âme raisonnable, car la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur n'est conférée ni aux pierres, ni aux bois, ni aux animaux. C'est parce que notre âme est l'image de Dieu qu'elle mérite cette faveur; et si elle la mérite, ce n'est pas en ce sens que, en dehors de toute grâce précédente,-la volonté puisse être bonne, ou qu'elle donne la première, pour mériter de recevoir ensuite, de telle sorte que la grâce cesse d'être une grâce, c'est-à-dire d'être gratuite, et qu'elle ne soit en réalité qu'une dette véritable. Et dès lors comment donc osez-vous me prêter un langage qui vous appartient en propre, et supposer que, pour moi, « les dons célestes ne sont autre chose que l'effet de la volonté humaine» ; comme si la volonté humaine,-sans la grâce de Dieu, pouvait être mue vers le bien, et acquérir ainsi un droit rigoureux à un paiement de la part de Dieu? Oubliez-vous donc cet oracle divin que nous ne cessons de vous opposer : « La volonté est préparée par le Seigneurs3? » ou, en d'autres termes, ignorez-vous que Dieu opère en nous, même le vouloir? O coeurs ingrats pour la grâce de Dieu ! ô ennemis de la grâce de Jésus-Christ ! ô hommes qui n'êtes chrétiens que de nom ! L'Eglise ne prie-t-elle pas pour ses ennemis? Et que demande-t-elle, dites -moi? Si elle demande qu'il leur soit accordé la juste récompense de leur volonté, que demande-t-elle, sinon le plus affreux des supplices? Ne serait-ce point demander, non pas leur bonheur, mais leur malheur? Or, elle prie en leur faveur; et puisque leur volonté n'est pas bonne, elle demande donc que leur volonté mauvaise se change en une volonté bonne, car « la volonté est préparée par le Seigneur ». « C'est Dieu », dit l'Apôtre, « qui opère en nous, même le vouloir4 ».
