66.
Que les hommes pieux louent donc le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment, et surtout, que dans tout cela ils louent le Seigneur, non point avec les ardeurs de la convoitise, mais avec le sentiment de ces splendeurs de l'univers. Le religieux et l'avare louent tous deux l'éclat de l'or, mais d'une manière bien différente ; celui-là avec un sentiment d'adoration pour le Créateur; celui-ci, avec la passion de posséder. Quand on entend un divin cantique, on sent son âme s'éprendre des affections de la piété; et cependant si, dans cette harmonie, la passion d'entendre ne cherchait que le son, et non pas le sens, elle serait condamnable ; combien plus doit-elle l'être quand elle s'enflamme pour ces chants légers, parfois même honteux ? Les trois autres sens sont en quelque sorte plus corporels, et par là même plus grossiers ; ils ne perçoivent pas à distance, mais seulement par un contact immédiat. L'odeur est perçue par l'odorat, la saveur par le goût, le tact par le toucher. Ce tact a des objets multiples : ce qui est chaud et ce qui est froid, ce qui est poli et ce qui est âpre, ce qui est mou et ce qui est dur; toutes propriétés parfaitement distinctes de ce que l'on appelle la légèreté ou la pesanteur. Or, quand l'homme repousse ce qui lui est désagréable, comme la puanteur, l'amertume, la chaleur, le froid, l'aspérité, la dureté, la pesanteur, il obéit, non pas à la passion de la volupté, mais à une prévoyance humaine très-louable. Au contraire, s'il s'agit de choses qui naturellement nous plaisent, nous pouvons en user même avec plaisir, lors même qu'elles ne nous seraient pas absolument nécessaires, soit pour la santé, soit comme remède à la douleur et au travail; et cependant, quand nous en sommes privés, nous ne devons pas les désirer avec passion. Les désirer ainsi, ce serait une faute. Car en toutes choses nous devons dompter et guérir cet appétit désordonné. Le plus grand ennemi de la concupiscence charnelle, s'il entre dans un lieu saturé de parfums, pourra-t-il ne pas respirer ces suaves odeurs, à moins qu'il ne s'obstrue le sens de l'odorat, ou que, par un violent effort, il ne se rende insensible à toutes les impressions du corps? Et quand il sera sorti, quelque part qu'il se rende, chez lui ou ailleurs, éprouvera-t-il le désir de semblables jouissances; et s'il l'éprouve, doit-il satisfaire cette passion ? ne doit-il pas plutôt l'enchaîner et convoiter par l'esprit contre la concupiscence de la chair, jusqu'à ce qu'il recouvre cet état de santé parfaite, où de semblables désirs ne viendront plus le tourmenter ? Vous me direz que ce point est peu important; c'est vrai, mais « celui qui méprise les petites, choses, tombe peu à peu dans les grandes1 ».
Eccli. XIX, 1. ↩
