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Les aliments sont pour nous une sustentation nécessaire; s'ils exhalent une odeur fétide, nous ne pouvons les prendre, et souvent même ils nous inspirent une répulsion de dégoût. c'est même un devoir de s'abstenir de tout ce qui répugne. J'en conclus clos que la faiblesse de notre corps a besoin, non-seulement de nourriture, mais encore d'y trouver une odeur convenable, non point pour satisfaire la passion, mais pour conserver la santé. Quand donc la nature réclame à sa manière ce qui manque dans l'alimentation, ce n'est pas à la passion qu'elle obéit, mais à la faim ou à la soif; mais quand on a pris son nécessaire, éprouver encore le désir de manger, c'est de la passion, par là même c'est un mal auquel on ne doit pas céder, mais résister. Cette distinction entre la faim et l'amour de manger nous a été signalée par le poète, quand, parlant des compagnons d'Enée battus par la tempête, et jetés errants sur le rivage, il déclare qu'on ne doit prendre de nourriture qu'autant qu'il est nécessaire pour se réconforter, et s'exprime en ces ternies : « Dès que la faim fut apaisée et que les tables eurent disparu1 ». Plus loin Enée, goûtant les douceurs de l'hospitalité qui lui était offerte par Evandre, et s'apercevant que le festin qui lui était offert dépassait de beaucoup les bornes de la nécessité, ne s'écrie plus seulement : « Dès que la faim fut apaisée » ; il ajoute : « Et après avoir réprimé le désir de manger2 ». Combien plus devons-nous savoir ce que demande la nécessité de manger, ce que réclame aussi la passion de la gourmandise, nous qui avons pour devoir de convoiter par l'esprit contre la concupiscence charnelle, de nous réjouir dans la loi de Dieu, selon l'homme intérieur, et de ne troubler la sérénité de cette. délectation par aucune convoitise mauvaise ? En effet, cet amour de manger doit être réprimé, non point par la manducation même, mais par la tempérance.
