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Entre cet heureux état et le nôtre, la différence est immense et parfaitement comprise par ceux surtout qui combattent contre cette concupiscence. Ce qu'ils voient et entendent lui est complètement étranger, même dans leur intention; n'importe, elle se glisse en eux parce qu'ils voient et entendent ; et s'il ne lui est pas donné de percevoir la volupté du toucher, par un mouvement subit, elle s'empare du moins d'une pensée voluptueuse, alors même que l'on ne s'occupe que de choses nécessaires qui ne la concernent aucunement. Je vous suppose uniquement livré à vos pensées; rien de voluptueux ne se présente ni à vos yeux ni à vos oreilles, et cependant que de choses oubliées et endormies reparaissent sous le souffle inquiet et tumultueux de la concupiscence ! quel nuage sombre et menaçant vient semer le trouble et l'inquiétude dans les intentions les plus chastes et les plus saintes ! Et puis, s'agit-il d'user de cette volupté nécessaire qui préside à la réfection du corps, comment expliquer qu'elle ne nous permette pas de sentir ce mode de nécessité et qu'elle puisse, en nous entraînant vers ce qui nous plaît, nous faire oublier entièrement les limites dans lesquelles se renferme notre santé? Avec quelle facilité nous croyons n'avoir pas assez, quand nous avons assez ! comme nous nous courbons dociles sous le poids de ses exigences, et nous nous flattons de ne chercher que les intérêts de notre santé, quand, en réalité, nous ne faisons qu'obéir aux instincts de la gourmandise ! Pour connaître tous les maux dont nous sommes capables, il suffit de voir à quels excès peut se porter une honteuse crapule. Si la crainte de tels excès nous domine, nous entreprenons aussitôt de refuser à la nature ce qui ne serait que nécessaire pour apaiser sa faim; et c'est ainsi que la cupidité ignore complètement où la nécessité finit.