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«L'Apôtre », dites-vous, «s'est écrié : La bonté de Dieu vous amène à la pénitence ». C'est vrai, mais celui qu'il amène, c'est celui qu'il a prédestiné, ce qui peut-être n'empêche pas ce pécheur, n'écoutant que la dureté et l'impénitence de son coeur, d'amasser un trésor de colère pour le jour de la colère et de la révélation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres1. Dieu, sans doute, est la patience infinie ; et pourtant qui donc fait pénitence, à moins que Dieu ne lui en donne la grâce ? Avez-vous oublié cette autre parole du même docteur : « De crainte que Dieu ne leur accorde la grâce de la pénitence pour les amener à la connaissance de la vérité, et les arracher aux filets du démon2 ? » Les jugements de Dieu sont autant de profonds abîmes. Si nous permettions à ceux qui nous sont soumis de faire le mal sous nos yeux, nous serions assurément aussi coupables qu'eux ; et cependant de combien de crimes le Seigneur ne permet-il pas la perpétration sous ses yeux, quand un seul acte de sa part les rendrait à jamais impossibles ? et néanmoins Dieu est infiniment juste et bon. Quant à cette patience qui donne aux pécheurs la liberté de faire pénitence, parce qu'il ne veut la mort de personne3, «Dieu connaît ceux qui sont à lui4», et « il coopère en toutes choses au bien», mais « pour ceux qui sont appelés selon ses desseins ». En effet, tous ceux qui sont appelés ne sont pas pour cela appelés selon ses desseins. «Car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus5 ». Les élus, voilà donc ceux qui sont appelés selon le dessein de Dieu. De là ces autres paroles. «Selon la vertu de Dieu qui nous a rachetés et nous a appelés par sa vocation sainte, non selon nos oeuvres, mais selon le décret de sa volonté, et selon la grâce qui nous a été donnée en Jésus Christ avant tous les siècles6». De même après avoir dit : «Nous savons que tout ce.
opère au bien de ceux qu'il a appelés selon son décret », l'Apôtre ajoute aussitôt: « Car ceux qu'il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût l'aîné entre plusieurs frères ; et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés7 ». Tels sont ceux qui sont appelés selon le décret. Ils ont donc été élus, dès avant la constitution du monde8, par celui qui appelle les choses qui ne sont pas comme si elles étaient9 . Mais s'ils sont élus, c'est par l'élection de la grâce.
De là, ce mot de l'Apôtre en parlant d'Israël Dieu a sauvé ceux qu'il s'est réservés selon «l'élection de sa grâce ». Et pour nous empêcher de croire qu'ils aient été élus dès avant la constitution du monde, par la connaissance anticipée de leurs oeuvres, l'Apôtre ajoute aussitôt : «Si c'est par grâce, ce n'est donc pas par les oeuvres ; autrement la grâce ne a serait plus grâce10 ». Au nombre de ces élus et de. ces prédestinés nous devons ranger ceux qui, après une vie très-coupable, sont amenés à la pénitence par la bonté de Dieu, dont la patience leur avait déjà permis de n'être pas frappés de mort dans la perpétration même de leurs crimes. Comment donc ne comprendraient-ils pas, eux et leurs héritiers, que, malgré la profondeur de l'iniquité, la grâce de Dieu peut toujours nous en délivrer ? Parmi ces élus aucun ne périt, à quelque âge qu'il soit frappé par la mort. Jamais, en effet, Dieu ne permettra qu'un prédestiné à la vie meure sans participer au sacrement du Médiateur. C'est à eux que s'adresse cette parole du Sauveur : «Telle est la volonté de mon Père qui m'a envoyé, que je ne perde aucun de ceux qu'il m'a donnés11 ». Quant à ceux qui ne sont pas de ce nombre, et qui, formés du même limon que les autres, ne sont cependant que des vases de colère, leur présence sur la terre est pour tous un précieux enseignement. En effet, Dieu ne crée aucun d'eux ni témérairement ni fortuitement; il n'ignore pas non plus le bien qu'ils peuvent faire ; n'est-ce déjà pas un grand bien, de créer en eux la nature humaine, et de les faire servir d'ornements à ce vaste univers? Aucun d'eux n'est amené à cette pénitence salutaire et spi rituelle, dans laquelle on trouve en Jésus-Christ sa réconciliation avec Dieu; bien que Dieu ait pour eux une patience plus ou moins grande. Ainsi donc, quoique ces malheureux, issus de la masse de perdition et de damnation selon la dureté et l'impénitence de leur coeur, s'amassent, en ce qui les regarde, un trésor de colère pour ce jour de vengeance où Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres, cela n'empêche pas la miséricorde et la bonté divine d'amener certains pécheurs à la pénitence, tandis que d'autres en restent. privés selon le juste jugement de Dieu. En effet, c'est au Seigneur qu'il appartient d'amener et d'attirer, selon. cette parole du Sauveur : «Personne ne vient à moi s'il n'est attiré par mon Père qui m'a envoyé12». A-t-il donc amené à la pénitence Achab, ce roi sacrilège et impie; ou du moins, après l'avoir laissé séduire et tromper par l'esprit mauvais, lui a-t-il accordé la patience et la longanimité ? N'a-t-il pas suffi qu'il se fût laissé séduire, pour qu'aussitôt la mort vînt mettre le comble à sa réprobation13 ? Dira-t-on qu'il n'a pas péché en croyant à la parole de l'esprit menteur ? Dira-t-on que ce péché n'a pas été le châtiment de son péché antérieur, châtiment décerné par le jugement de Dieu qui, pourtant, avait ordonné ou permis à l'esprit menteur de se rendre auprès du monarque? Quiconque oserait tenir ce langage ne prouverait-il pas qu'il dit ce qu'il veut, et qu'il refuse d'entendre la vérité ?