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Mais écoutons ce chef-d'oeuvre de dialectique: «L'accident inhérent à la substance ne peut exister en dehors de la substance à laquelle il adhère. Par conséquent, le mal qui est dans le père, comme dans sa substance, ne peut transmettre sa culpabilité à une autre substance, c'est-à-dire à la race à lai quelle il n'est point parvenu ». Vous seriez dans le vrai, si le mal de la concupiscence ne passait pas des pères aux enfants; mais comme ce mal est inséparable de la génération et de la naissance, pouvez-vous encore nous dire qu'il ne parvient pas à la postérité ? Ce n'est pas Aristote dont les catégories voles inspirent un culte insensé, mais c'est l'Apôtre lui-même qui nous dit : «Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et c'est ainsi qu'il est passé dans tous les hommes1 ». Cette dialectique, je pense, ne vous paraît pas menteuse, seulement vous ne la comprenez pas. Votre principe est parfaitement vrai : Les accidents inhérents à une substance, comme sont les qualités, ne peuvent exister en dehors de la substance à laquelle ils adhèrent; telles sont la couleur ou la forme dans les corps; cependant ils se communiquent, non point par voie d'émigration, mais par voie d'impression. C'est ainsi que les Ethiopiens, parce qu'ils sont noirs, donnent naissance à des enfants noirs, sans que l'on puisse dire qu'ils leur transmettent la couleur noire, comme on transmet un vêtement; entre le corps engendrant et le corps engendré il y a donc réellement une impression ou affection. Ce phénomène est plus étonnant encore, quand les qualités des choses corporelles se transmettent aux choses incorporelles; et cependant, c'est ce qui arrive lorsque, après avoir aspiré en quelque sorte les formes des corps que nous voyons, nous les cachons dans notre mémoire, et les portons avec nous en quelque lieu que nous dirigions nos pas. Ces formes n'ont point quitté les corps auxquels elles adhèrent, et cependant elles sont venues, par une sorte de prodige, se fixer dans nos sens émus. Ce qui se fait du corps à l'esprit, se fait également de l'esprit au corps. Les couleurs variées déposées par Jacob sur les verges passèrent dans l'esprit des brebis mères, et de là se reproduisirent parfaitement sur le corps des agneaux2. Que ce phénomène puisse se produire à l'égard des enfants, un médecin très-distingué, Soranus, nous l'affirme et en cite des exemples. Il raconte que Denys le tyran, se sentant très-difforme et ne voulant pas avoir d'enfants qui lui ressemblassent, mettait, pendant l'acte du mariage, sous les yeux de sa femme, un chef-d'oeuvre de peinture, afin que, par la violence de ses désirs, elle en détachât en quelque sorte la beauté et la reproduisît dans les enfants qu'elle concevait3. En effet, c'est Dieu qui crée les natures, mais il les crée de manière à conserver les lois qu'il a imprimées aux mouvements de chacune de ces natures. Ainsi, quant aux vices, par exemple, en leur qualité d'accidents ils doivent adhérer à une substance, et cependant nous disons qu'ils passent des pères aux enfants; non pas, sans doute, par voie de transmigration d'une substance à une autre substance, ce qui n'est pas possible, comme le prouvent logiquement ces catégories que vous connaissez, mais par voie d'affection, et en quelque sorte de contagion, et c'est là ce que vous ne voulez pas comprendre.