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Citant ensuite quelques autres de mes paroles, vous en tirez la conclusion suivante, dont vous voudriez me rendre responsable La concupiscence est digne de tout éloge, «quand elle sert aux époux pour se créer une postérité ». Pour moi, jamais je n'ai tenu ce langage, jamais je n'en ai eu la pensée. En effet, comment soutenir que la concupiscence soit digne de tout éloge, quand elle sert aux époux, puisque ces époux se voient dans la nécessité de la soumettre à la répression de l'esprit, pour l'empêcher de se livrer à tous les excès ? D'un autre côté, nous ne disons pas davantage que ce soit toujours une faute de faire usage de la concupiscence ». Vous voudriez cependant nous attribuer cette proposition, puisque vous affectez de résumer notre doctrine en ces termes. « Les adultères sont moins coupables que les époux, car tandis que la concupiscence commande aux adultères, elle n'est pour les époux qu'un instrument docile de péché ». Comme jamais je n'ai rien dit de semblable, je vous laisse à vous seul la responsabilité de cette horrible conclusion. Je soutiens uniquement que ce n'est pas toujours un péché d'user de la concupiscence, car ce n'est pas un péché de faire du mal un bon usage. Ecoutez plutôt cette parole de l'Ecriture : « L'enfant instruit sera sage, et il se servira du serviteur imprudent1? » Est-ce donc un bien d'être imprudent, quoique même alors on puisse servir d'instrument à l'homme sage ? Voilà pourquoi saint Jean ne dit pas: Gardez-vous de vous servir du monde; mais: «Gardez-vous d'aimer le monde », et par ce monde il entendait la concupiscence de la chair2. Celui qui en use sans l'aimer, en use pour ainsi dire sans en user; car, s'il en use, ce n'est pas pour elle, mais par amour pour une autre chose vers laquelle il aspire, de telle sorte qu'il aime le but sans aimer le moyen nécessaire pour le réaliser. De là ce mot de saint Paul : «Que ceux qui usent de ce monde soient comme n'en usant pas3 ». Ces dernières paroles ne peuvent-elles pas se traduire ainsi : Qu'ils n'aiment pas ce dont ils usent, car ce n'est qu'à cette condition qu'ils peuvent en faire un bon usage ? C'est même ainsi que l'on doit agir à l'égard de certaines choses, bonnes en elles-mêmes, et que cependant l'on ne doit pas aimer. On ne dit pas que la richesse soit un mal, et cependant c'est en faire un mauvais usage que de l'aimer; combien plus doit-il en être ainsi de la concupiscence ? Convoiter la richesse, c'est l'oeuvre d'un esprit mauvais, et cependant la richesse ne convoite pas contre l'esprit bon, comme le fait la concupiscence, J'en conclus que nier de la concupiscence qu'elle soit un mal, c'est un péché ; tandis que ce n'est pas un péché d'en faire un bon usage. Vous dites : «Si la concupiscence est mauvaise, elle rend les époux plus coupables que les adultères, puisqu'elle n'est qu'une humble servante pour les premiers, tandis que pour les seconds elle est une maîtresse et un tyran ». Cette conclusion serait logique, si nous disions de ces époux, en qui la concupiscence est un moyen dont ils se servent uniquement en vue de la génération, qu'ils en font usage pour accomplir le mal, à peu près comme ferait un homicide qui se servirait de son domestique pour tuer son ennemi. Or, nous soutenons, au contraire, que la génération est une chose bonne dans les époux, quoique le fruit qui doit en résulter apporte en naissant cette blessure originelle, dont le seul remède est dans la régénération. Par conséquent, les époux chrétiens doivent user de la concupiscence comme un homme sage use d'un serviteur imprudent pour faire une bonne action ou se procurer un bien.
