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«Le mariage», dites-vous, «n'est rien autre chose que le mélange des corps » ; vous ajoutez, et cette fois avec raison, que «la propagation ne peut se faire sans l'appétit réciproque et sans l'oeuvre naturelle des corps ». Nieriez-vous, par hasard, que les adultères se connaissent sous l'impulsion de l'appétit réciproque, de l'oeuvre naturelle et du mélange des corps ? ceci vous prouve la fausseté de votre définition du mariage. En effet, autre chose est le mariage, autre chose la condition nécessaire à la formation des enfants. Les enfants peuvent naître en dehors du mariage, et le mariage exister en dehors de l'acte conjugal; autrement, pour ne citer qu'un exemple, on ne devrait plus considérer comme époux ces vieillards qui ne peuvent plus se connaître, ou qui rougiraient et refuseraient de se connaître, dès qu'ils ont perdu toute espérance d'avoir des enfants. Jugez par là de l'imprudence qui seule a pu vous inspirer de définir le mariage : «L'union ou le mélange des corps ». A la rigueur, il eût mieux valu dire que le mariage n'est commencé que par l'union des corps, car les époux ne se marient que dans le but de se donner des enfants, ce qui ne peut se faire que par l'union des corps. Mais alors, n'oubliez pas que, si le péché n'eût pas été commis, l'acte conjugal, tout en restant le moyen de propagation, se serait accompli dans des circonstances toutes différentes. En effet, à Dieu ne plaise que nous disions jamais que dans le paradis terrestre, l'innocente et pure félicité eût toujours obéi aux mouvements de la passion ! A Dieu ne plaise que nous acceptions jamais que cette paix de l'âme et du corps, dont jouissaient nos premiers parents, eût été témoin d'une lutte engagée contre soi-même par la nature de l'homme ! Si donc, dans le paradis terrestre, l'homme n'avait ni à obéir à la passion, ni à lutter contre elle, n'ai-je pas le droit d'en conclure, ou que cette passion n'existait pas, ou qu'elle n'était point alors ce qu'elle est aujourd'hui? Parmi nous, celui qui ne veut pas se faire l'esclave de la concupiscence doit nécessairement lutter contre elle, et celui qui néglige de lutter contre elle devient nécessairement son esclave. De ces deux partis à prendre, l'un est gênant, quoique digne d'éloge; l'autre est honteux et misérable. Par conséquent, le premier est nécessaire en ce monde à ceux qui veulent rester chastes, tandis que l'un et l'autre étaient incompatibles avec le bonheur du paradis terrestre.
