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Mais que voulez-vous dire, quand vous vous flattez a de fermer la lutte avec Aristote, « pour revenir aux saintes Ecritures? » Voici vos propres paroles : « La concupiscence est donc un sentiment, mais elle n'est pas une qualité mauvaise; donc, quand la concupiscence diminue, le sentiment diminue ». Voulez-vous donc dire que, par la concupiscence de la chasteté et de la continence, la concupiscence de la chair va chaque jour diminuant de plus en plus? Alors je vous demande si, à mesure que l'homme sent en soi diminuer l'amour de la fornication, il ne peut pas dire qu'il guérit, dans la même mesure, du mal de la fornication? et cependant, la seule conversion suffit pour enlever ce mal, auquel ne cédera jamais celui qui conserve la grâce que lui a conférée la régénération. De même, je suppose un homme qui n'a été baptisé qu'après avoir contracté l'habitude de l'ivresse, et qui, après son baptême, ne retombe plus dans cette faute; or, veuillez me dire si je n'ai pas le droit d'affirmer que, de jour en jour, la maladie de cet homme va diminuant, puisque de moins en moins il se sent pressé du désir de se livrer à cette coupable passion. Ce qui est un pur sentiment, ce n'est donc pas la concupiscence elle-même, mais plutôt la sensation que nous avons de sa plus ou moins grande intensité. De même, quand il s'agit des impressions du corps, ce qui est un sentiment, ce n'est pas la douleur, mais cela même qui fait que nous sentons la douleur; ce n'est pas non plus la maladie qui est le sentiment, mais ce qui fait que nous sentons la maladie. Or, s'il devient bon, et bon d'une bonne qualité, celui qui, renonçant à la fornication et à l'ivresse, s'abstient des oeuvres commandées par ces deux passions, ne peut-il pas s'appliquer en toute vérité ces belles paroles : « Voilà que vous êtes guéri, gardez-vous de a pécher désormais1 ? » ne mérite-t-il pas le nom de chaste et de sobre? De plus, si, grâce aux progrès de la bonne concupiscence, il combat de plus en plus la concupiscence mauvaise de la fornication et de l'ivresse; s'il sent s'opérer en lui un changement qu'il ne remarquait pas même au moment de sa conversion ; si le désir du mal le tourmente de moins en moins; si l'ardeur de la lutte va s'affaiblisssant de plus en plus, non pas faute de vertus, mais faute d'ennemis, non point parce que le combat cesse, mais parce que la victoire augmente ; est-ce que vous douterez un instant que cet homme soit en grande voie de perfection? Et s'il y a perfection, n'est-ce point parce que la bonne qualité se développe, et que la mauvaise diminue? Par conséquent, ce qui le rend bon s'accentue de plus en plus, tandis que ce qui le rendait mauvais diminue dans la même proportion ; or, ce progrès se réalise après le baptême, et non pas dans l'action même du baptême. Oui, sans doute, la rémission des péchés y est pleine et entière; et cependant le champ reste ouvert à la perfection par la lutte ardente et continuelle que nous avons à soutenir contre ces mauvais désirs qui soulèvent en nous l'orage et la tempête. Voilà pourquoi c'est aux baptisés que s'adressent ces paroles : « Mortifiez vos membres qui a sont sur la terre2 ; si, par l'esprit, vous a mortifiez les oeuvres de la chair, vous vivrez3 ; dépouillez-vous du vieil homme4 ». Toutes ces paroles sont l'expression de la vérité, et non point un reproche pour le baptême.
