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J'avais cité ces paroles de l'Apôtre: «Je sais que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair », et le reste jusqu'à ces mots : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? » Or, vous m'accusez « de donner à ce chapitre une interprétation toute différente de celle qui lui est due ». Sans le savoir vous me rappelez que je lui ai plusieurs fois donné un sens quelque peu différent. D'abord, je ne suis ni le seul ni le premier qui ai vu dans ce chapitre la condamnation formelle de votre hérésie, et c'est en ce sens en effet qu'on doit l'interpréter. Mais, dès le début, je l'avais compris autrement, ou plutôt je ne l'avais nullement compris ; les ouvrages par moi composés à cette époque sont encore là pour l'attester. Je ne pensais pas que l'Apôtre ait pu dire de lui-même : « Pour moi, je suis charnel », quand il était spirituel ; ou qu'il pût se dire captif sous la loi du péché qui était dans ses membres1. Je croyais que ces paroles né pouvaient s'appliquer qu'à ceux sur lesquels la concupiscence de la chair exerçait un empire assez grand, pour les forcer à lui obéir aveuglément. Croire cela de l'Apôtre me paraissait une folie, et cependant il n'est que trop vrai que, pour ne point accomplir les oeuvres de la concupiscence de la chair, les saints ont toujours besoin de convoiter par l'esprit contre la chair. Plus tard donc j'ai cédé à des interprétations plus exactes et plus intelligentes, ou plutôt j'ai cédé à la vérité même, et dans les paroles de l'Apôtre j'ai reconnu le gémissement poussé par tous les saints qui combattent contre la concupiscence charnelle. Par l'esprit, sans doute, ils sont spirituels, mais au point de vue de ce corps corruptible qui appesantit l'âme2. Il est bien vrai de dire qu'ils sont charnels ; sans doute ils deviendront spirituels, même par le corps, mais seulement le jour où leur corps ressuscitera spirituel, après avoir été semé corps animal3. Et puis, si l'on considère cette partie d'eux-mêmes, encore soumise aux mouvements de ces désirs que pourtant ils repoussent, comment ne pas les regarder comme captifs sous la loi du péché ? Sous l'influence de ces réflexions, j'ai enfin compris ce chapitre, comme l'avaient compris Hilaire, Grégoire, Ambroise et ces autres saints et illustres docteurs de l’Eglise, aux yeux desquels l'Apôtre ne faisait que constater la lutte qu'il soutenait contre ces concupiscences charnelles qu'il repoussait et qu'il éprouvait néanmoins, comme ils les éprouvaient eux-mêmes, tout en les combattant4. Ces mouvements auxquels la guerre seule peut arracher l'empire, et dont la guérison parfaite n'aura lieu qu'à la mort, ne sont-ils pas l'objet de ces glorieux combats, au sein desquels, vous l'avouez vous-même, les justes remportent de si brillantes victoires5 ? Si nous combattons, reconnaissons le cri de guerre de tous ceux qui combattent avec nous. Pourtant ce n'est pas nous qui vivons, mais Jésus-Christ qui vit en nous, si ce n'est pas sur nous , mais sur lui seul que repose notre espérance pour soutenir là lutte contre la concupiscence et pour remporter la victoire jusqu'à l'extinction complète de nos ennemis. En effet, c'est lui « qui nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, afin que, selon ce qui est écrit, celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur6».
