5.
Quant à vos deux autres arguments relatifs au baptême, nous allons voir ce que ce docteur en a pensé, et comment il vous écrase sous le poids de son autorité. Dans son livre contre les Novatiens, nous lisons: «Nous naissons tous sous le joug du péché, et dans le vice, selon cette parole de David : J'ai été conçu dans l'iniquité, et ma mère m'a enfanté dans le péché ». De là vient qu'aux yeux de Paul sa chair était un corps de péché : «Qui me délivrera, dit-il, de ce corps de mort1 ? Or, la chair de Jésus-Christ a condamné le péché qu'elle n'a point ressenti en naissant, et qu'elle a crucifié en mourant; et c'est ainsi que la justification par la grâce s'est accomplie dans notre chair restée jusque-là sous le joug du péché comme une masse d'iniquité2». Sous l'évidence d'un tel langage, que deviennent tous vos arguments? En effet, si nous naissons tous sous le péché ; si le vice est notre origine à tous, pourquoi m'accusez-vous d'attribuer au démon la création de l'homme, quand vous voyez parfaitement que j'enseigne ce que saint Ambroise a enseigné lui-même sans qu'il eût jamais dit que le démon fût le créateur de l'homme ? Si c'est dans l'homme sa naissance coupable qui a fait dire à David : «J'ai été conçu dans l'iniquité, et manière m'a enfanté dans le péché » ; si cette parole du Prophète constate le péché originel, sans accuser aucunement l'union conjugale; pourquoi me reprochez-vous de condamner le mariage, quand, sur ce point, saint Ambroise ne vous paraît digne d'aucun reproche ? Parce que nous naissons tous sous le joug du vice et du péché, Paul ne voyait dans sa chair qu'un corps de mort, comme il le prouve par ces paroles : Qui me délivrera de ce corps de mort ? » et il ne serait pas encore évident pour vous que l'Apôtre se fait à lui-même l'application de ces paroles ? Au moment même où, par son homme intérieur, il se complaisait dans la loi de Dieu, il voyait dans ses membres une autre loi qui répugnait à la loi de son esprit ; ce qui lui faisait dire de sa chair qu'elle était un corps de mort. Le bien n'habitait donc pas dans sa chair, et c'est pour cela qu'au lieu de faire le bien qu'il voulait, il faisait le mal qu'il haïssait3. Voilà donc ce que devient la cause que vous soutenez; n'est-elle pas à jamais détruite et renversée? et, comme la poussière que le vent emporte sur la face de la terre4, elle disparaît et n'inspire plus que du mépris à ceux que vous commenciez à séduire, pour peu du moins qu'ils renoncent à tout esprit de chicane et qu'ils consentent à réfléchir sur les considérations qui leur sont proposées. En effet, est-ce que l'apôtre saint Paul n'était pas baptisé; ou bien lui avait-on refusé la rémission de tel ou tel péché, du péché originel ou des péchés personnels, des péchés commis par ignorance ou des péchés commis avec pleine connaissance ? Comment donc peut-il tenir un semblable langage, et ce langage ne prouve-t-il pas la vérité de ce que j'ai dit dans mon livre, quoique vous vous flattiez de l'avoir réfuté? En effet, cette loi du péché, telle que nous la trouvons dans les membres de ce corps de mort, nous a été remise dans la régénération spirituelle, quoiqu'elle demeure encore dans notre chair mortelle. Elle a été remise, parce que sa culpabilité nous a été pardonnée par le sacrement de la régénération des fidèles; elle demeure, car c'est elle qui produit ces désirs de toute sorte contre lesquels les fidèles ont à se prémunir et à combattre. Or, il suffit de ce principe pour frapper votre hérésie par la base et la réduire en poussière. Vous le comprenez vous-mêmes; voilà pourquoi, dominés par la crainte qui vous obsède, vous tentez les derniers efforts pour prouver que dans ce texte il ne s'agit pas de la personne même de l'Apôtre, mais de quelque Juif, encore soumis à la loi, et contre lequel luttaient ses mauvaises habitudes. Comme si vraiment l'homme, en recevant le baptême, déposait toutes ses mauvaises habitudes; comme si, après avoir reçu le baptême, nous n'étions pas obligés de combattre ces habitudes avec d'autant plus de force et de courage, que nous désirons plus vivement nous rendre agréables aux yeux de celui qui nous prodigue ses grâces pour nous rendre victorieux dans la luge. Si l'obstination vous permettait une réflexion attentive et sérieuse, il vous suffirait de contempler la force de l'habitude pour comprendre comment la concupiscence est pardonnée dans sa coulpe, tout en persévérant dans son acte. N'est-ce donc rien pour l'homme que cet aiguillon de la concupiscence qui le harcèle sans relâche, alors même qu'il n'y donne aucun consentement ? Et cependant ce n'est point à cause de la force de l'habitude que l'Apôtre appelait sa chair un corps de mort; la cause véritable, saint Ambroise l'a parfaitement comprise, et il nous la donne, quand il nous dit que c'est parce que nous naissons sous le joug du vice et du péché. Il ne pouvait pas douter que ce péché dans sa coulpe nous fût remis par le baptême ; mais comme il se sentait harcelé . sans cesse par la suggestion du vice, il éprouvait d'abord la crainte la plus vive d'être vaincu et subjugué ; ensuite, quoique victorieux, se sentant las, non pas de combattre, mais de se voir sans cesse en face de son ennemi, il s'écriait : «Malheureux homme que je suis, qui une délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur5 ». Il savait donc qu'il n'y a pas jusqu'au mouvement même de la concupiscence qui ne puisse être guéri par la grâce de Celui qui nous a déjà remis la coulpe originelle dans la régénération spirituelle. Cette guerre que nous avons entreprise en nous contre nous-mêmes, ceux qui l'éprouvent et ne peuvent la nier, ce ne sont pas les impudents panégyristes de la concupiscence, mais ses ennemis et ses adversaires déclarés.
