8.
Revenons donc à saint Ambroise. «La chair même de Paul», nous dit-il, «était pour lui un corps de mort; de là ce cri déchirant :Qui me délivrera de ce corps de mort? » Tel est le sens donné à ces paroles par saint Ambroise, saint Cyprien, saint Grégoire, et par tous les autres docteurs, jouissant absolument de la même autorité. A la fin des siècles il sera dit à cette mort : «O mort, où est ton combat et ta victoire ? » Mais cette grâce sera le partage, non point de ceux qui sont nés, mais de ceux qui auront été régénérés. «En effet », ajoute saint Ambroise, «la chair de Jésus-Christ a condamné le péché, ce péché qu'elle n'a point ressenti en naissant et qu'elle a crucifié en mourant». En naissant elle n'a point ressenti le péché en elle-même; et en mourant elle l'a crucifié en nous. Quant à cette loi du péché qui se révolte contre la loi de notre esprit, et que le grand Apôtre ressentait dans ses membres, elle nous est remise dans le baptême, mais elle n'y est point anéantie. Le corps de Jésus-Christ est resté étranger à cette loi de la chair se révoltant contre la loi de l'esprit, parce que ce n'est pas selon cette loi de la chair que la sainte Vierge l'a conçu. Nous tous, au contraire, qui que nous soyons, nous apportons en naissant cette funeste loi, parce que c'est selon cette loi que toutes les mères conçoivent. Voilà pourquoi saint Hilaire proclame sans hésiter que toute chair sort du péché1: suit-il de là qu'à ses yeux Dieu n'en soit pas le créateur? Ne disons-nous pas que la chair vient de la chair, que la chair vient de l’homme, et cependant nions-nous que Dieu en soit le créateur ? La chair vient de Dieu, parce qu'il en est le créateur; elle vient de l'homme, parce qu'il l'engendre ; et elle vient du péché, parce qu'il la souille. Or, ce Dieu qui a engendré son Fils coéternel à lui-même, lequel était le Verbe dès le commencement, et par lequel il a créé toutes choses; ce Dieu l'a aussi créé homme sans péché, devant naître d'une vierge, devant régénérer l'homme, le guérir de ses blessures, effacer son péché à l'instant même du baptême, et le relever peu à peu de son état de faiblesse et d'impuissance. C'est contre cette faiblesse que combat, sous le regard et le secours de Dieu, le chrétien régénéré parvenu à l'âge de raison. N'est-ce pas, en effet, dans la faiblesse que se perfectionne la vertu2, sous l'effort de cette lutte que nous engageons contre cette partie de nous-mêmes qui nous éloigne de la justice, et en faveur de cette autre partie qui tend sans cesse à s'élever vers le bien? Que cette dernière partie triomphe, et tout en nous se perfectionne ; qu'elle succombe, et tout s'affaisse et se corrompt. Quant à l'enfant encore privé de l'usage de la raison, il n'est ni bon ni mauvais; du moins pour ce qui regarde sa volonté propre. En effet, le bien et le mal ne sont pour lui l'objet d'aucune volonté ; le bien naturel de la raison, et le mal originel du péché sont pour lui dans un état de sommeil absolu. Mais que les années se succèdent, que la raison s'éveille, aussitôt le commandement s'impose et le péché revit; bientôt le combat s'engage entre le commandement et le péché; ou bien le péché triomphe et l'enfant sera condamné; ou bien il succombe et il sera guéri. Cependant, lors même que l'enfant serait mort, avant que le péché se fût montré en lui, ce péché n'aurait pu lui causer aucun préjudice, car si, dans sa nature vicieuse, le péché subsiste toujours en ce monde, du moins, en tant qu'il rend réellement coupable celui en qui il habite, s'il est contracté par la génération, il est effacé par la régénération. De là le baptême conféré aux enfants, non-seulement pour les faire jouir du royaume de Jésus-Christ, mais encore pour les arracher à ce malheureux règne de la mort. Or, ce précieux résultat ne peut nous venir que par « Celui qui a condamné le péché par sa chair, ne l'a pas contracté en naissant, et l'a crucifié en mourant; de telle sorte que la justification par la grâce vient inonder notre chair qui, auparavant, n'était qu'un amas de souillures et de péchés ».