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Mais peut-être seriez-vous tenté de dire que les chrétiens régénérés sont obligés de combattre, non pas contre le vice avec lequel ils sont nés, mais contre telle ou telle mauvaise habitude qu'ils auraient contractée dans leur vie antérieure. Tout d'abord un tel aveu de votre part prouverait évidemment que vous voyez dans l'homme un mal dont la souillure, et non pas le mal lui-même, serait effacé par le baptême. Cependant, comme la solution de la question qui nous occupe exige que nous prouvions jusqu'à l'évidence que ce mal est inné en nous par l'effet du péché du premier homme, veuillez entendre une parole plus formelle encore de ce même saint Ambroise dans son exposition de l'Evangile selon saint Luc1. J'emprunte ce nouveau témoignage à ce passage de son livre, où tout en se conformant à l'unité de la règle de foi, il déroule les différentes significations que fon peut donner de cette parole du Sauveur : «Dans une seule maison ils seront cinq divisés entre eux, trois contre deux, et deux contre trois ». «Or », dit saint Ambroise, «n'est-il pas ici parlé de la chair et de l'âme, qui dans une seule demeure se séparant de l'odeur, du tact et du goût de la luxure s'opposent énergiquement à l'entraînement des vices, se soumettent à la loi de Dieu et s'éloignent de la loi du péché? Par la prévarication du premier homme, cette dissension s'est changée en nature, de telle sorte que l'accord cessa d'exister entre ces différentes parties d'un même homme, surtout en ce qui regarde la vertu. Toutefois, par l'efficacité de la croix du Sauveur, cette inimitié domestique, aussi bien que la loi des préceptes, disparut peu à peu, et fit place à une heureuse concorde, lorsque Jésus-Christ, «notre paix véritable, descendant du ciel, n'a fait des deux peuples qu'un seul peuple2 ». Dans le même ouvrage, parlant de la nourriture spirituelle et incorruptible, saint Ambroise s'exprime en ces termes : «La raison est la nourriture de l'esprit, et le précieux aliment de la suavité ; elle n'est point un fardeau pour nos membres, et devient pour notre nature, non point une honte, mais un ornement, lorsque notre corps, jusque-là le rendez-vous des passions et des vices, commente à devenir le temple de Dieu et le sanctuaire des vertus. C'est ce qui se fait lorsque la chair, rentrant dans l'ordre de la nature, ne sait plus voir dans la raison que le principe nourricier de sa force, et déposant les prétentions de son audace, se soumet à l'arbitrage et à la direction modératrice de l'âme. C'est dans cet état qu'elle se trouvait, «lorsqu'elle fut appelée à occuper le paradis terrestre, avant que le venin contagieux du funeste serpent lui eût inspiré une soif sacrilège ; avant qu'une faim criminelle ne lui eût fait perdre, de ces préceptes divins, «le souvenir jusque-là gravé dans toutes les a profondeurs de son âme. Telle fut le principe du péché; le corps et l'âme l'enfantèrent à la fois, le corps en se laissant tenter dans sa nature, et l'âme en cédant criminellement aux faiblesses de son corps. Si l'âme eût enchaîné cette appétence du corps, le péché eût été étouffé dans son origine ; mais il n'en fut pas ainsi, car l'âme se laissa honteusement prostituer par le corps, perdit toutes les fleurs et les forces de sa jeunesse, conçut l'iniquité et enfanta le péché3 ».