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Direz-vous que le saint docteur incrimine te mariage, parce qu'il affirme que tout enfant qui naît du mariage subit la contagion du mal, comme étant le fruit de la volupté de la concupiscence? Ecoutez alors comment, dans son apologie de David, saint Ambroise formule sa pensée sur le mariage : «Le mariage est bon », dit-il ; « l'union conjugale est sainte. Toutefois, que ceux qui ont des épouses soient comme n'en ayant pas. Le devoir conjugal est légitime; que les époux ne se refusent donc pas l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est pour un temps et afin de se livrer à la prière1. Selon l'Apôtre, l'accomplissement du devoir conjugal est donc incompatible avec le temps destiné à la prière2 ». Dans le livre de la philosophie, nous lisons également: «La continence est bonne, elle est en quelque sorte le fondement de la piété. En effet, c'est elle qui affermit les pas chancelants de ceux qui gravissent les précipices de cette vie; elle est comme la sentinelle vigilante qui ferme l'entrée à tout ce qui est illicite. Au contraire, la mère de tous les vices, c'est l'incontinence qui rend mauvais ce qui était licite. Voilà pourquoi, non content de nous défendre la fornication, l'Apôtre trace un mode à observer jusque dans.le mariage, et prescrit un temps à consacrer à la prière3. Du reste, celui qui est intempérant dans le a mariage, qu'est-il autre chose, sinon l'adultère même de sa propre épouse?» Vous voyez comment il trace au mariage lui-même certaines règles pour, rester honnête, puisque dans les limites de ses droits. Vous voyez que, en affirmant de l'incontinence qu'elle rend mauvais même ce qui était licite, il affirme la bonté du mariage et défend d'y souiller par l'incontinence ce qui est licite. Enfin, remarquez-vous qu'il n'y a pour vous d'autre interprétation que la nôtre à donner à ces paroles de l'Apôtre : «Que chacun de vous sache posséder le vase de son corps saintement et honnêtement, et non point en suivant les mouvements de la concupiscence, comme font les païens qui ne connaissent point Dieu4? » Or, la seule passion coupable à vos yeux, c'est celle de l'adultère. Que pensez-vous donc de saint Ambroise, qui regarde l'intempérance dans le mariage comme une sorte d'adultère sur sa propre épouse? En accordant au mariage pleine et entière liberté de satisfaire à toutes les licences de la passion, croyez-vous comprendre mieux que tout autre les honneurs qu'il mérite? ou bien voulez-vous que la passion offensée ne puisse trouver qu'en vous son défenseur? J'avais cité de saint Paul ce passage où il permet aux époux le devoir conjugal, mais, remarquez-le, par condescendance,, ce qui supposerait presque une faute, quoique une faute pardonnée ; or, vous évitez avec soin la moindre allusion à ce passage. J'avais rappelé aussi l'avertissement qu'il donne aux époux de s'abstenir de tout commerce charnel, afin de se livrer à la prière5 ; or, dans votre réponse, vous n'osez non plus rappeler cette citation, craignant sans doute que votre justification ne se trouvât gravement compromise si le public venait à s'apercevoir que, dussent les époux abandonner la prière, vous leur permettez de donner libre cours à cette passion dont vous ne rougissez pas de prendre la défense. Vous désiriez vivement la justifier de toutes mes accusations, mais, n'osant voua mettre en contradiction formelle avec l'Apôtre; ne pouvant d'ailleurs dénaturer, comme vous le faites d'ordinaire, le témoignage apostolique, vous n'avez trouvé qu'un seul parti à prendre, celui de garder le plus profond silence. Par qui donc les honneurs dus au mariage sont-ils le mieux sauvegardés? Est-ce par vous; qui en flétrissez la dignité eu le regardant comme l'égoût irrépréhensible de la concupiscence charnelle ? ou par saint Ambroise qui, tout en avouant que le mariage est bon, et que le devoir conjugal est saint, rappelle après l'Apôtre qu'il est des moments pour refréner la volupté de la passion et se livrer à l'exercice de la prière? Par saint Ambroise, qui ne veut pas que les époux s'abandonnent brutalement à cette maladie, véritable principe de la transmission du, péché originel; qui, selon la doctrine du même Apôtre, invite ceux qui sont mariés à vivre comme s'ils ne l'étaient pas ; qui n'hésite pas à flétrir du nom d'adultère de sa propre épouse, le mari intempérant; et qui enfin voit le bien du mariage, non pas dans la, cupidité de la chair, mais dans la foi de la chasteté; non pas dans la maladie de la passion, mais dans le pacte d'union ; non pas dans la volupté de la concupiscence, mais dans le désir. de la postérité? Il rappelle que la femme n'a été donnée à l'homme que dans le but de la génération, et j'admire vraiment que vous ayez tant sué pour nous prouver une vérité dont aucun d'entre nous n'a jamais douté. Sur ce sujet, voici les paroles de saint Ambroise dans son livre du Paradis : «Si la femme a été pour l'homme la cause de la chute, comment dire que la création de la femme fut pour l'homme un bienfait? Eh bien ! rappelez-vous que Dieu prend soin de l'universalité des choses, et vous comprendrez que, pour lui, l'obligation, si triste fût-elle, de condamner ce qui était la cause du péché, étai loin de compenser la joie que lui faisait éprouver ce qui entrait comme cause nécessaire dans le bien général. Parce que l'homme seul ne pouvait suffire à la propagation du genre humain, Dieu s'était écrié : Il n'est pas bon que l'homme soit seul6. Plutôt que de n'avoir qu'un seul homme qui fût exempt de péché, le Seigneur préféra donc en avoir plusieurs, qu'il pût sauver tous, et auxquels il accorderait la rémission du péché. Enfin, parce qu'il est l'auteur de l'homme et de la femme, Dieu vint en ce monde afin de sauver les pécheurs. Et puis, remarquons encore que Dieu permit à Caïn, coupable de fratricide, «de se créer une postérité, avant de trouver dans la mort l'expiation de son crime. «Donc », conclut saint Ambroise, «la femme dut être donnée à l'homme en vue d'assurer la propagation du genre humain7 ».
