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Pourquoi donc de votre part cet empressement, cette précipitation, signe infaillible d'une étrange présomption ? Vous soutenez qu'ici-bas l'homme arrive à son entière perfection; et plût à Dieu que cette perfection vous parût le fruit de la grâce divine, et non point le résultat unique du libre arbitre, ou plutôt du serf arbitre de votre volonté propre ! Vous sentez bien vous-même que vous êtes loin de cette perfection ; mais l'hypocrisie s'attache indissolublement à vos lèvres, soit quand vous vous dites pécheurs, tout en voulant que l'on vous croie justes; soit quand vous proclamez l'existence d'une justice parfaite, tout en sentant fort bien qu'elle n'est pas en vous. Or, dans cette vie, la justification nous est conférée de trois manières : soit d'abord par le bain de la régénération dans lequel nous obtenons la rémission de tous nos péchés ; soit dans la lutte que nous engageons contre les vices dont la coulpe nous a été pardonnée; soit enfin quand Dieu veut bien exaucer celte demande que nous fui adressons : «Pardonnez-nous nos offenses1 ». En effet, quelque courage que nous déployions contre nos vices, nous sommes toujours hommes ; tandis que la grâce de Dieu, témoin des combats que nous livrons dans .notre corps mortel, nous prodigue un secours tellement efficace que rien ne s'oppose à ce que nous soyons exaucés quand nous implorons notre pardon. Pour vous, au contraire, cette miséricorde de Dieu ne vous paraît nullement nécessaire, car vous êtes du nombre de ceux dont le Psalmiste a dit : «Ils se confient dans leur propre vertu2». Mais écoutons sur ce point encore l'illustre évêque de Milan dans son livre de la Fuite du siècle : «Nous parlons souvent de la nécessité de fuir le siècle ; et plaise à Dieu qu'il soit aussi facile de s'assurer une fuite salutaire que d'en parler ! Mais hélas ! la séduction des cupidités terrestres fait souvent invasion dans notre coeur ; le spectre des vanités temporelles s'empare de notre esprit, et c'est ainsi que nos pensées et nos affections adhèrent à ce que nous cherchons à éviter. Il est difficile à l'homme de se tenir toujours en garde contre ce danger: y échapper a toujours est impossible. Que ce dépouillement soit plutôt une affaire de désir qu'une a réalité, c'est ce que nous attestent ces paroles du Prophète : Inclinez mon coeur vers vos oracles, et non point vers l'avarice3. En effet, notre coeur n'est point en notre puissance, et nos pensées subitement obscurcies confondent notre esprit et notre coeur, et les entraînent dans une tout autre direction. Elles nous rappellent aux choses du siècle, nous précipitent sur les biens de la terre, nous plongent dans tous les rêves de la volupté, nous fascinent à toutes les séductions, et au moment même où nous nous préparons à élever notre esprit vers les sphères supérieures, nous retombons le plus souvent sur la terre, accablés sous le poids ode ces pensées vaines et futiles4 ». Si vous n'éprouvez point toutes ces misères, n'en soyez que plus indulgents pour nous; cependant nous ne vous croyons pas, car dans ces paroles de saint Ambroise nous retrouvons notre image comme dans un miroir fidèle, et quelle que soit. notre perfection, nous ne laissons pas de rencontrer en nous les caractères de notre commune et humaine fragilité. Supposé même que nous vous croyions et que nous vous disions : Priez pour nous, afin que nous n'ayons plus rien à souffrir de semblable ; aussitôt nous croyons entendre les frémissements de votre orgueil, et les murmures de votre haute sagesse vous dictant cette réponse :
Non-seulement nous n'éprouvons rien de semblable, mais nous croyons qu'il est au pouvoir de l'homme de s'en garantir, et qu'il n'est pour lui aucun motif sérieux de s'adresser à Dieu pour implorer son secours.
