19.
Nous ne sommes point étonnés de ne pouvoir pénétrer ses voies impénétrables. En effet, passant sous silence ces innombrables bienfaits que Dieu accorde aux uns et refuse aux autres, quoiqu'il n'y ait en lui aucune acception de personnes1, et quoique ces dons ne soient mérités d'aucune manière, par exemple, l'agilité, la force, la bonne santé, la beauté du corps, le talent et autres qualités de l'esprit; par exemple encore, ces dons extérieurs, l'opulence, la noblesse, les honneurs et autres biens du même genre qu'il appartient à Dieu,seul de nous conférer; passant également sous silence le baptême des enfants, baptême absolument nécessaire pour entrer dans le royaume des cieux, quoique nous ne puissions savoir pourquoi il est donné à tel enfant, tandis qu'il est refusé à tel autre, quoiqu'il dépende absolument du pouvoir absolu de Dieu et qu'il soit la condition essentielle du bonheur éternel; passant, disons-nous, sous silence tous ces bienfaits, nous nous occupons exclusivement de la persévérance, c'est-à-dire de ceux qui, au lieu de persévérer dans le bien, se jettent dans une voie mauvaise et y meurent.
Que nos adversaires nous disent, s'ils le peuvent, pourquoi ces hommes, pendant qu'ils vivaient dans la foi et la piété, n'ont pas été soustraits par Dieu aux dangers de ce monde, dans la crainte que leur méchanceté ne vînt à changer leur intelligence, et que le mensonge ne trompât leur âme. Est-ce que Dieu n'en avait pas le pouvoir, ou bien ignorait-il qu'ils devaient s'abandonner au mal? Une telle explication serait tout à la fois une folie et un crime. Pourquoi donc Dieu ne les a-t-il pas rappelés à lui? Qu'ils nous répondent, ceux qui se rient de nous entendre nous écrier dans notre étonnement : « Que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables !» Ou bien Dieu agit ainsi selon son bon plaisir, ou bien l'Ecriture est menteuse quand elle nous dit de la mort prématurée de l'homme juste : « Il a été ravi à la terre, dans la crainte que la malice ne changeât son intelligence ou que le mensonge ne trompât son âme2 ». Pourquoi donc Dieu fait-il cette grâce aux uns, tandis qu'il la refusé aux autres, lui en qui il ne saurait y avoir ni iniquité, ni acception de personnes, et qui est parfaitement le maître d'arracher l'homme ou de le laisser à cette épreuve qui constitue notre vie sur la terre3 ? Les Pélagiens sont contraints d'avouer que c'est à Dieu que l'homme doit de terminer sa vie avant de quitter le bien pour se livrer au mal; mais ils ignorent pourquoi cette faveur est accordée aux uns et refusée aux autres. Qu'ils avouent donc également avec nous que, d'après les Ecritures, dont j'ai cité les témoignages, la persévérance dans le bien est une grâce que Dieu seul peut nous accorder ; et quand ils voient cette grâce accordée aux uns et refusée aux autres, s'ils en ignorent, comme nous, la raison, qu'ils se gardent bien de murmurer contre Dieu.