34.
Nous avons à établir la même distinction parmi les secours qui nous sont accordés. Autre chose est le secours sans lequel telle oeuvre ne se fait pas, et autre chose est le secours avec lequel cette oeuvre s'accomplit. Sans aliments aucuns nous ne pouvons vivre, et cependant la présence de ces aliments ne saurait faire vivre celui qui veut mourir. Par conséquent, les aliments sont un de ces secours sans lesquels telle oeuvre ne se fait pas, et non pas de ceux par lesquels telle oeuvre s'accomplit. S'il s'agit de la béatitude, tel homme pouvait en être privé, mais il suffit qu'elle lui soit accordée, pour que ce même homme soit heureux. Par conséquent, la béatitude est un secours sans lequel telle oeuvre ne se fait pas, et par lequel telle oeuvre s'accomplit. Il participe donc à la double efficacité du secours, car si la béatitude est accordée à l'homme, aussitôt il devient heureux; et si elle lui est refusée pour toujours, jamais il ne sera heureux. Il n'en est pas de même des aliments, ils ne font pas nécessairement que l'homme vive , et cependant sans eux l'homme; ne saurait vivre.
Quant au premier homme, qui avait été créé dans la rectitude du bien, et qui possédait le pouvoir de ne pas pécher, de ne pas mourir et de ne pas quitter le bien, il avait aussi reçu le secours de la persévérance, non pas ce secours qui l'aurait fait persévérer, mais ce secours sans lequel il ne pouvait persévérer même avec son libre arbitre. S'il s'agit des saints qui sont prédestinés au royaume éternel par la grâce de Dieu, le secours qu'ils reçoivent en vue de la persévérance est tel, que c'est la persévérance elle-même qui leur est accordée; non-seulement en ce sens qu'en dehors de ce don ils ne puissent persévérer, mais encore en ce sens que par ce don ils persévéreront infailliblement. En effet, si le Sauveur a dit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire », il a dit également : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi-même qui vous ai choisis et placés afin que vous alliez et que vous portiez des fruits, et que vos fruits demeurent1 ». Ces paroles prouvent clairement que le Sauveur leur avait donné, non-seulement la justice, mais encore la persévérance dans la justice. Quand on voit le Sauveur les placer afin qu'ils aillent, qu'ils portent des fruits, et que leurs fruits demeurent; qui donc oserait dire : ils ne demeureront pas? qui oserait dire : Peut-être ne demeureront-ils pas? « Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentante2 », j'entends la vocation de ceux qui sont appelés selon le décret. Puisque c'est pour eux que Jésus-Christ intercède, afin que leur foi ne défaille point, n'est-il pas certain qu'elle ne défaillira jamais? par conséquent elle persévérera jusqu'à la fin, c'est-à-dire jusqu'au moment où elle sera remplacée par la vue intuitive dans la gloire éternelle.