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D'un autre côté, quand il s'agit des saints qui doivent persévérer, nous voyons la sainte Ecriture leur parler comme si leur persévérance était incertaine et douteuse. Mais le but de ces paroles est de nous défendre de porter trop loin nos investigations et de nous déterminer à faire notre salut avec crainte et tremblement1. En effet, tant qu'il vit au sein de notre malheureuse mortalité, quel fidèle oserait lui-même se ranger au nombre des prédestinés? Cette prédestination reste un secret pour nous sur cette terre, car notre ennemi le plus redoutable c'est l'orgueil, et ne voyons-nous pas le grand Apôtre souffleté par l'ange de Satan, Dieu le permettant ainsi pour lui ôter jusqu'à la moindre pensée d'orgueil2? De là cette parole du Sauveur à ses Apôtres : « Si vous demeurez en moi3 », et cependant il savait fort bien que ses Apôtres demeureraient en lui. Le Prophète disait également : « Si vous voulez et si vous écoutez ma parole4 » ; et cependant le Seigneur connaissait ceux en qui il opérait le vouloir5.
Des oracles de ce genre se rencontrent fréquemment dans les saintes Ecritures. Car la prédestination, en restant un secret pour nous, devait avoir pour effet de nous soustraire à toute pensée d'orgueil et de laisser sous l'heureuse influence d'une crainte légitime ceux mêmes qui courent la carrière de la justice, puisque le but pour eux est toujours incertain. Grâce au secret de la prédestination, nous devons croire que certains enfants de perdition, privés du bienfait de la persévérance finale, commencent par moments à vivre de cette foi qui opère par la charité, arrivent même parfois jusqu'à la fidélité et la justice, retombent ensuite et sont frappés par la mort avant d'avoir pu se convertir. Si ces cruelles alternatives ne se présentaient jamais, cette crainte religieuse et salutaire que l'Esprit-Saint nous offre comme le seul remède au vice de l'orgueil, n'aurait de prise sur les hommes que jusqu'au moment où ils auraient obtenu la grâce de Jésus-Christ pour vivre chrétiennement ; cela fait, ils resteraient dans une entière sécurité et regarderaient tonte chute comme absolument impossible. Or, dans ce lieu d'épreuves, avec la faiblesse qui nous caractérise, le plus grand danger pour nous résulterait précisément de cette présomption et de cette sécurité si favorables à l'orgueil. Oui, sans doute, nous aussi, comme les anges, nous serons un jour confirmés en grâce, mais ce sera seulement lorsque l'orgueil ne pourra plus nous atteindre. Quant au nombre des élus, prédestinés par la grâce de Dieu au royaume éternel, et gratifiés de la persévérance finale, il arrivera tout entier au séjour de la gloire, et y possédera le bonheur suprême ; et après avoir joui ici-bas de la miséricorde du Sauveur soit pour opérer leur conversion, soit pour soutenir les combats du Seigneur, ils la béniront à jamais sous l'éclat de la couronne immortelle.