23.
En effet, si on nous,demande pourquoi des miracles si grands ont été opérés sous les yeux de ceux qui devaient les voir sans croire en Jésus-Christ, et pourquoi au contraire ils n'ont pas été opérés chez ceux qui auraient cru, s'ils les avaient vus, que répondrons-nous ? Dirons-nous ce que j'ai dit déjà dans le livre où j'ai répondu à, six questions des païens, mais sans préjudice des autres raisons que les hommes éclairés peuvent découvrir? Voici, comme vous le savez, la réponse que j'ai faite à cette question : Pourquoi la venue du Christ a-t-elle été précédée de tant de siècles? « C'est que le Christ prévoyait que dans tous les siècles et dans tous les lieux où son Evangile n'a pas été prêché, cette prédication aurait été accueillie comme elle l'a été par la multitude de ceux qui, témoins de son existence corporelle, n'ont point voulu croire en lui, alors même qu'il ressuscitait les morts ». J'ai dit aussi un peu plus loin dans le même livre, et pour répondre à la même question : « Qu'y a-t-il d'étonnant en cela? Le Christ voyait, durant a les siècles précédents, cet univers généralement rempli d'infidèles à qui il ne voulait pas que son nom fût prêché, par cette raison excellente qu'il prévoyait que ces hommes ne croiraient ni à ses paroles, ni à ses miracles1 ». Il nous est certainement impossible de dire cela de Tyr et de Sidon, et nous voyons par elles que les jugements de Dieu sont fondés sur ces raisons cachées de prédestination, sans préjudice desquelles j'ai dit alors que je répondais de cette manière. Il nous est facile en effet d'accuser l'infidélité des Juifs, puisqu'elle vient de leur libre volonté qui a refusé de croire aux prodiges si éclatants accomplis au milieu d'eux. Le Seigneur lui-même leur adressait à ce sujet des reproches accablants : « Malheur à toi, Corozaïn et Bethzaïde ! car si. les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, elles auraient fait autrefois pénitence sous le cilice et dans la cendre ». Mais pouvons-nous dire de même que Tyr et Sidon n'ont pas voulu croire à de semblables miracles opérés au milieu d'elles, ou qu'elles n'auraient pas voulu y croire si elles en avaient été témoins? Le Seigneur lui-même leur rend témoignage au contraire qu'elles auraient fait pénitence avec une humilité profonde, si ces merveilles de la puissance divine s'étaient opérés sous leurs yeux. Et cependant au jour du jugement elles seront châtiées, quoique leur supplice doive être moins dur que celui des cités qui n'ont pas voulu croire aux miracles opérés au milieu d'elles. Car le Seigneur ajoute : « Cependant je vous le dis : Tyr et Sidon seront traitées avec plus d'indulgence que vous au jour du jugement2 ». Ainsi, les uns seront châtiés avec plus de sévérité, les autres avec plus d'indulgence : mais tous seront châtiés. Or, si les morts sont jugés même d'après ce qu'ils auraient fait, supposé que leur vie eût été prolongée, les habitants de Tyr et de Sidon qui auraient été fidèles dans le cas où l'Evangile leur eût été annoncé avec des miracles aussi éclatants, ne devraient donc pas être châtiés. Mais ils le seront certainement, et par là même il est faux aussi que les morts soient jugés suivant ce qu'ils auraient fait, si l'Evangile leur eût été annoncé pendant qu'ils vivaient. Et si cela est faux, on n'est donc plus autorisé à dire, par rapport aux enfants qui meurent sans avoir reçu le baptême, que ce malheur les frappe justement par la raison que Dieu a prévu, dans le cas où ils vivraient et où l'Evangile leur serait annoncé, leur obstination à ne pas croire. Il ne reste donc plus qu'à considérer ces enfants comme coupables du péché originel exclusivement et comme envoyés à la damnation pour ce seul motif; quoique nous voyions ce même péché pardonné dans le sacrement de la régénération, et par une faveur tout à fait gratuite de Dieu, à d'autres enfants dont la condition est identique; et que, en même temps, par un jugement caché, mais juste — car il n'y a en Dieu aucune injustice3 — nous en voyions d'autres qui courent à leur perte en vivant dans le désordre après leur baptême; lesquels néanmoins sont conservés sur cette terre jusqu'à ce que leur perte soit consommée, alors même qu'ils n'eussent point dû périr, si la mort corporelle, prévenant leur chute, fût venue à leur secours. Personne, en effet, n'est jugé après sa mort suivant le bien ou le mal qu'il aurait fait, si la mort ne l'avait point frappé : autrement les habitants de Tyr et de Sidon ne subiraient pas un châtiment poux ce qu'ils ont fait; mais, au. contraire, ils seraient sauvés à raison de la pénitence héroïque qu'ils auraient faite et de la foi qu'ils auraient eue en Jésus-Christ, si les miracles évangéliques eussent été opérés au milieu d'eux.