24.
Un homme qui s'est fait un nom dans la controverse catholique, a donné une autre explication de cet endroit de l'Evangile. Suivant lui, le Seigneur prévoyait que les Tyriens et les Sidoniens abandonneraient plus tard la foi, après avoir cru aux miracles opérés au milieu d'eux, et c'est plutôt par un acte de miséricorde qu'il n'a point accompli ces prodiges dans leurs villes ; car en abandonnant là foi après l'avoir d'abord embrassée, ils eussent mérité un châtiment plus rigoureux que si jamais ils ne l'avaient embrassée. Qu'ai-je besoin de dire ici ce qu'il peut y avoir de très-contestable dans cette doctrine d'un homme docte et quelque peu subtil, puisque cette doctrine elle-même vient appuyer ce que nous voulons établir? Car si le Seigneur, en n'opérant pas au milieu d'eux ces miracles à l'aide desquels ils auraient pu parvenir à la foi ; si le Seigneur a fait en cela un acte de miséricorde, et s'il a voulu les préserver par là du châtiment plus rigoureux qu'ils auraient mérité en, retournant à l'infidélité, ainsi qu'il prévoyait que cela aurait lieu; il est donc suffisamment et surabondamment prouvé que personne , après la mort, n'est jugé sur les péchés que Dieu a prévu devoir être commis par lui; dans le cas où, par un moyen quelconque, ce même Dieu ne fût pas venu à son secours pour l'empêcher de les commettre : car, supposé que cette opinion soit vraie, le Christ est venu au secours des habitants de Tyr et de Sidon, en préférant ne pas les voir embrasser la foi plutôt que de les voir ensuite se rendre coupables d'un crime beaucoup plus grand par l'abandon de cette foi, comme il prévoyait que cet abandon aurait lieu s'ils venaient à croire en lui. Cependant, si on demandait pourquoi Dieu ne les a pas d'abord appelés à la foi pour leur faire ensuite la grâce de sortir de ce monde avant d'avoir renoncé à la foi, je ne vois pas ce que l'on pourrait répondre. Car en disant qu'il a été accordé comme un bien. fait à ceux qui devaient cesser de croire, de ne pas commencer à posséder une chose à laquelle ils n'auraient pu renoncer sans se rendre coupables d'un crime plus, odieux, on dit par là même que l'homme n'est pointasses jugé sur le mal que Dieu a prévu devoir être commis par lui, puisque Dieu, par un bienfait réel, l'empêche de le commettre. Il adonc été pourvu au salut de celui qui « a été enlevé de ce monde, de peur que la méchanceté ne vînt corrompre son esprit1 ». Mais pour quoi les mêmes mesures n'ont-elles pas été prises en faveur des Tyriens et des Sidoniens ? pourquoi n'ont-ils pas été d'abord appelés à la foi, puis, enlevés de ce monde, de peur que la méchanceté ne vint corrompre leur esprit ? Celui à qui il a plu de résoudre cette question de cette manière, pourrait peut-être donner ici une réponse. Pour moi, en me renfermant dans les limites de mon sujet, une chose me suffit, si je ne me trompe : c'est que, même suivant cette opinion, il est démontré que les hommes ne sont point jugés sur les actions qu'ils n'ont pas faites, alors même, que Dieu a prévu qu'ils les auraient faites. Mais, je l’ai dit et je le répète, on rougit même de réfuter cette opinion suivant laquelle ceux que la mort frappe ou qu'elle a déjà frappés, seraient punis pour des péchés que Dieu a prévu qu' ils auraient commis, si une vie plus longue leur eût été accordée : car nous ne voulons point paraître avoir considéré cette opinion comme sérieuse, quoique nous ayons mieux aimé la discuter et la réfuter que de la passer sous silence.
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Sag. IV, 11. ↩