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Jul. Enfin l'Apôtre ajoute aussitôt, qu'ils sont esclaves de la justice de la même manière qu'ils étaient auparavant esclaves du péché. D'où il suit que, si cela te plaît, tu peux dire que les hommes sont libres à l'égard du péché, quand ils obéissent aux lois de la justice; de même que l'Apôtre a dit qu'ils étaient libres à l'égard de la justice quand ils étaient esclaves du péché. C'est donc par une supercherie tout à fait inepte que tu as voulu dénaturer la simplicité du langage apostolique. Saint Paul, en effet, n'a point, comme tu le penses, défini avec un soin scrupuleux la doctrine que tu lui attribues : l'interprétation que tu donnes à ses paroles n'est pas autre chose qu'une rêverie. Voici comment tu raisonnes: l'Apôtre a mieux aimé employer le mot Délivrés, plutôt que le mot Libres, pour nous faire comprendre que la liberté de détermination donne le pouvoir de faire le mal, non pas celui de faire le bien. Mais le sens naturel de ses paroles résiste à ton interprétation. Car, s'il avait pensé , comme toi, que la liberté ne confère d'autre pouvoir que celui de commettre le péché, il aurait dû dire : Vous étiez libres à l'égard du péché, et non pas : « Vous étiez libres à l'égard de la justice » ; la qualification de libre eût été ainsi appliquée à celui qui recevait le concours de la liberté elle-même. Car, si l'on veut s'arrêter à des détails sans importance et purement accidentels , saint Paul a dit qu'ils étaient libres , et non pas qu'ils étaient indépendants à l'égard de cette justice. Logiquement donc , ce choix d'expressions serait plutôt en notre faveur, si nous voulions baser un argument sur de telles minuties. Mais à Dieu ne plaise ! nous comprenons la pensée de l'Apôtre, et la signification naturelle des expressions qu'il a employées en toute simplicité nous suffit. Le Maître des nations n'a point dit autre chose que ceci : Vous étiez libres à l'égard de la justice, vous n'en étiez point les esclaves vous avez été délivrés, vous avez reçu le pardon de vos péchés, sans perdre pour cela la liberté de détermination ; cette liberté par laquelle ils ont eu le pouvoir d'obéir au péché d'abord, et ensuite à la justice.
Aug. En donnant cette interprétation hérétique d'après laquelle la délivrance, par la grâce, des liens du péché, consisterait uniquement dans le pardon que l'homme reçoit de ses fautes passées; et non pas dans son affranchissement du pouvoir souverain que le péché exerce sur lui quand il est entraîné par sa propre concupiscence à donner son consentement à des convoitises criminelles; en donnant cette interprétation, dis-je, aux paroles de l'Apôtre, vous vous mettez en contradiction avec les prières des saints. Pourquoi, en effet, dit-on à Dieu : « Ne nous faites pas entrer en tentation », si le libre arbitre que nous avons reçu de la nature nous donne le pouvoir de nous préserver par nous-mêmes de ce péril? Pourquoi l'Apôtre dit-il : « Nous demandons à Dieu que vous ne fassiez point de mal[^1] », si Dieu délivre du péché seulement en accordant le pardon des fautes passées ?
- II Cor. XIII, 7.