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Jul. Rapprochons maintenant de ces exemples l'objet même de notre discussion. L'imputation des péchés des parents aux enfants et la non-imputation des péchés des parents aux enfants, sont deux choses qui s'excluent mutuellement, et l'on ne peut pas soutenir qu'elles sont l'une et l'autre conformes à la justice ; mais si la justice exige que les enfants soient déclarés coupables des péchés commis par ceux qui les ont engendrés, il s'ensuit nécessairement que l'on ne pourrait sans injustice ne pas déclarer ces mêmes enfants coupables de ces sortes de péchés. De plus, si on fait le bien quand on commande une chose juste, il faut dire aussi qu'on fait le mal, quand on commande une chose injuste. Sans doute une vérité évidente par elle-même semble perdre quelque chose de son évidence, par le fait seul qu'on entreprend de la démontrer dans une argumentation en forme; mais il est toujours utile d'appuyer sur le témoignage de la loi divine, une proposition qui se trouve énoncée en des termes absolus ; attachons-nous donc à ce passage de l'Écriture, et tout homme qui le considérera avec un esprit droit, sera assuré de ne point s'égarer, malgré les difficultés inextricables que présentent les questions discutées ici. Tu reconnais, toi qui as le premier enseigné l'existence du mal naturel, que la loi de Dieu défend de punir les enfants à cause des péchés de leurs parents. Tu reconnais pareillement que ce précepte a été interprété par le peuple de Dieu, dans le même sens où nous prétendons qu'il doit encore être observé aujourd'hui. Tu confesses par là même que le roi Amessias, obéissant à la loi de Dieu, réprima par un acte de modération louable la colère qu'avait excitée en lui le meurtre de son père ; et qu'après avoir mis à mort ceux qui avaient frappé mortellement l'auteur de ses jours, il épargna leurs enfants, non point par un acte de faiblesse, mais par un sentiment d'amour de la justice. Amessias est loué pour ce fait; l'auteur sacré, déclare que le roi agit en cela d'une manière conforme à la loi de Dieu, et il relève le mérite de cet acte d'obéissance à la volonté du Seigneur : cependant l'Ecriture ne dissimule point que ce prince ternit l'éclat de sa gloire en laissant subsister un reste de culte idolâtrique, et elle ajoute qu'Amessias n'imita point la piété de David, son père ; mais quoiqu'il eût dégénéré de la sainteté de ses ancêtres, il observa dans ses jugements les règles de justice tracées par la loi de Dieu, tant le respect dû à l'équité manifeste avait alors de pouvoir sur les coeurs. Considère donc tout ce qu'il y a d'abominable dans les maximes de ta foi : tu attribues à ce même Dieu, dont nous confessons l'éternité, la bonté et la justice, une iniquité telle que, ni l'orgueil de se voir d'abord élevé à la dignité royale, ni la douleur de se voir ensuite dépouillé de la pourpre, ne furent point capables d'en faire commettre à ce prince une semblable.
Aug. Amessias était un homme, et par là même il ne lui était point permis de porter un jugement sur des choses cachées qu'il ne pouvait connaître : voilà pourquoi il observa dans son jugement le précepte donné à l'homme, de ne point faire mourir les enfants à cause des péchés de leurs parents. Mais un péché si énorme qu'il a flétri notre nature elle-même, le péché, dis-je, qui est entré dans le monde par un seul homme et dont personne n'est exempt au moment de sa naissance, comment les hommes pourraient-ils s'arroger le droit de le punir, puisqu'il est passé avec la mort dans tous les hommes, et que cette mort qui en est à la fois le châtiment et la compagne inséparable, est suivie d'une autre mort éternelle, toutes les fois que la grâce divine ne vient point purifier dans l'onde régénératrice la souillure de la génération première? C'est donc à Dieu, et non point aux hommes, qu'il appartient de juger de ce péché, aussi bien que d'une multitude d'autres fautes qui ne sauraient en aucune manière être soumises au jugement des hommes. Et voilà pourquoi Dieu a commandé à ceux-ci de juger d'une manière les parents et les enfants qui ont déjà fait usage de leur libre arbitre personnel ; quoique lui-même il ait jugé d'une autre manière, quand, par un acte de sa justice impénétrable, il a condamné la nature humaine coupable de prévarication, ainsi que la postérité qui devait naître d'elle; cette nature, dis-je, qui lui était parfaitement connue dans sa racine, quoiqu'elle n'eût pas encore étendu ses rameaux sur toute la surface de la terre ; et eu prononçant ce jugement, il se réserva de délivrer de cette damnation, par une grâce non moins impénétrable, ceux qu'il lui plairait. L'histoire nous atteste pareillement qu'il a vengé sur des enfants qui usaient déjà de leur libre arbitre personnel, les péchés que leurs parents avaient commis de même par leur libre arbitre personnel ; mais il n'a pas voulu qu'il fût permis à l'homme de juger .de cette manière; car, quand il agit ainsi:, il connaît les motifs qui justifient cette manière d'agir, mais l'homme ne saurait porter si haut ses faibles regards.
